Notules (9)

Isolé dans une station de recherche sur Mars, John Renfrew constate que la Terre ne répond plus et qu’il est probablement le dernier de son espèce. Pour ne pas devenir fou, il discute avec l’hologramme du système de divertissement de la station (qui a pris la forme d’un pianiste excentrique) et décide d’apprendre tout ce qu’il peut sur la cosmologie, la physique et l’univers. Un pitch ma foi réjouissant pour ce roman court de la collection Une Heure-Lumière, sachant que le Britannique Alastair Reynolds est un de ces auteurs capables de susciter l’émerveillement en quelques phrases. En partant de prémisses pourtant déjà vues (le coup du colon abandonné sur sa planète, on connaît), De l’espace et du temps a réussi à me surprendre par sa légèreté de ton et par son ambition de nous envoyer très loin des basses considérations martiennes. ...

05.10.2025

Le cavalier suédois - Leo Perutz

Aux alentours de l’an 2000, j’ai beaucoup joué à Cossacks, un jeu ukrainien de stratégie en temps réel dans lequel s’affrontent des nations européennes des XVIIe et XVIIIe siècles. La bande-son du jeu est inscrite au plus profond de mes connexions neuronales et c’est même le premier “test” de jeu vidéo que j’ai écrit pour un site web amateur (c’était une autre époque). J’avais onze ans et une idée plus que vague du rôle joué par des pays tels que la Suède, la Russie ou les Saxons dans ces vastes boucheries. Le cavalier suédois, un roman de l’écrivain Leo Perutz (né à Prague en 1882), se déroule en plein dans ce contexte, à savoir “la grande guerre du Nord” et plus précisément le conflit qui oppose la Suède du roi Charles XII et la Russie de Pierre le Grand au début du XVIIIe siècle. Une sorte de roman d’aventures historique donc, mais pas seulement. L’auteur argentin Jorge Luis Borges, grand maître du fantastique et de l’étrange, avait une très bonne opinion de son collègue austro-hongrois, ce qui est plutôt bon signe et donne quelques indications. Je n’ai ainsi pas été surpris d’avoir affaire à un roman étrange se baladant dans les franges du fantastique. ...

28.09.2025

Notules (8)

Au même titre que Les agents du Dreamland (Caitlin R. Kiernan) ou La quête onirique de Vellitt Boe (Kij Johnson), La ballade de Black Tom est une reprise contemporaine de l’univers d’H.P. Lovecraft, dont le racisme et la misogynie sont à peu près aussi connus que son œuvre a marqué la culture pop. Ici, Victor LaValle prend un texte particulièrement raciste (Horreur à Red Hook) - que je n’ai pas lu - et le réécrit du point de vue d’un homme noir. J’ai donc découvert cette histoire pour ce qu’elle est et ça m’a beaucoup plu. On y découvre le parcours d’un jeune homme noir, petit escroc sympathique du Harlem des années 20, confronté à deux types d’horreurs visqueuses : ses contemporains blancs d’une part, des monstruosités cosmiques de l’autre. De quoi repenser à la délicieuse dédicace qui ouvre le livre et que je reproduis ici : “À H.P. Lovecraft, avec tous mes sentiments contradictoires”. ...

20.09.2025

Notules (7)

Ce livre, il est spécial, car vivement conseillé depuis des années par une personne très chère à mon cœur. La petite femelle revient sur une affaire judiciaire des années 1950 qui a fait de Pauline Dubuisson une femme haïe par toute la France lors de son procès pour le meurtre de son ex-amant. Outré par son sort, Philippe Jaenada - qui pensait au départ écrire un livre facile sur une tueuse au sang-froid - fait le travail manifestement bâclé par l’instruction : revenir sur les faits. Il repart de l’enfance étrange et isolée de Pauline Dubuisson, continue par son adolescence sous l’Occupation (qui lui sera vivement reprochée), puis par son parcours au sortir de la guerre. C’est le résultat d’un travail rigoureux et impressionnant dont il est difficile de ne pas ressortir en colère, abasourdi par une parodie de justice et un cirque médiatique infâme. Heureusement, notre lecture est facilitée par le style inimitable de l’auteur et par ses digressions personnelles qui, au lieu d’apparaître déplacées, sont autant de respirations bienvenues. Je recommande au passage les trois épisodes du podcast Bookmakers d’Arte Radio qui lui ont été consacrés. ...

15.09.2025

Notules (6)

Roman à la fois satirique et historique, Les services compétents nous raconte une page de la dissidence soviétique au tournant des années 60. Le lieutenant Ivanov, un fonctionnaire somme toute sympathique des services secrets, y enquête sur un mystérieux écrivain publié en France sous le pseudonyme d’Abram Tertz. Les textes de ce dernier, qui ironisent notamment à propos du réalisme socialiste, sont jugés antisoviétiques et il s’agit donc de le faire taire. Sans en avoir l’air, c’est un roman dense en informations qui n’en reste pas moins une histoire d’espionnage fort agréable dans lequel il est aussi beaucoup question de littérature. L’auteur Iegor Gran en profite au passage pour revenir sur des événements dont je n’avais pas connaissance, comme que le massacre de Novotcherkassk ou la torche d’Urta-Bulak (éteinte à coup d’EXPLOSION NUCLÉAIRE). Et puis, comme il s’agit en fin de compte de leur histoire, on note une grande tendresse de sa part pour ses parents Andreï Siniavski et Maria Rozanova, de sacrés personnages. ...

08.09.2025

Notules (5)

Je n’arrive pas à considérer Âpre cœur comme un recueil d’histoires courtes, même s’il en a tous les attributs. Je le décrirais plutôt comme un roman fragmenté à travers lequel l’autrice sino-américaine Jenny Zhang raconte certains aspects de l’immigration chinoise dans les années 90 à New York. Raconté du point de vue d’enfants, de filles uniquement, chaque texte est relié à au moins un autre par des personnages qui se croisent (on en profite au passage pour prendre de leurs nouvelles). Ce qui m’a frappé, c’est la vivacité de l’écriture, le ton explosif et rageur de ces jeunes filles qui partagent des points communs sans perdre leur singularité. On en apprend aussi sur leurs parents, sur ce qui les a poussés à quitter la Chine pour risquer la misère aux États-Unis. C’est souvent cru, parfois violent, jamais dans le pathos, très très vivant. Âpre cœur porte très bien son nom. ...

31.08.2025

La mer de la tranquillité - Emily St. John Mandel

Avec son titre évoquant les étendues lunaires et sa promesse d’anomalies temporelles, La mer de la tranquillité voit Emily St. John Mandel creuser le genre de la science-fiction en abordant (ce n’est pas une immense révélation de le dire) la question du voyage dans le temps. Dans chaque précédent roman de l’autrice, j’ai vu une raison de jouer, de chercher les bizarreries et les points communs avec d’autres de ses livres. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. ...

09.08.2025

Le Livre des comptes - Martin Mongin

Comment aborder ce machin ? C’est la question que je me pose au moment de commencer cette note. Le Livre des comptes débute de façon un peu claustrophobique : un homme amnésique, solidement enfermé dans une petite pièce confortable, est invité à lire en entier un roman nommé Le Livre des comptes, en échange de quoi il sera libéré. Ça m’a quelque peu inquiété quant aux 690 pages que contient ce beau bébé. Mais détrompons-nous, car il s’agit là d’une espèce de prologue d’une cinquantaine de pages. La suite nous amène à Versailles, où le Président de la République et sa cour (ministres, grands patrons, hauts fonctionnaires…) célèbrent avec faste leur grand oeuvre consistant à tout faire pour que la moindre parcelle du pays soit consacrée à la seule valeur qui soit : le travail. Alors qu’un grand événement se prépare, un type un peu étrange erre, désoeuvré (scandale !), dans les jardins du château. ...

26.07.2025

Notules (4)

En matière de méchas, mon expérience se limite à Pacific Rim au cinéma et à de vagues souvenirs de Goldorak quand j’étais tout petit. Tout le contraire de Denis Colombi, qui connaît ses classiques et qui est aussi sociologue, raisons pour lesquelles ce tout petit roman (moins de 100 pages) a attiré mon attention. Au coeur des Méchas est écrit sous la forme du témoignage d’une mécano, qui nous raconte ce que ça fait de bosser à bord de ces géants de tôles conçus pour repousser des monstres extra-terrestres dans des batailles titanesques, mais anonymement, à l’ombre des pilotes célébrés en héros. L’envers du décor, en somme, et les questionnements qui vont avec. Un petit bouquin très malin qui se lit à peu près d’une traite en mêlant habilement réflexion sociale et grosses tatanes sur des monstres de l’espace. ...

20.07.2025

Notules (3)

J’habite dans une région où les béguinages de manquent pas. Pourtant, j’ai toujours eu une image floue des communautés de béguines, peinant à les distinguer des moniales. Si La nuit des béguines m’a appris quelque chose, c’est bien le statut très particulier de ces femmes et surtout la liberté étonnante dont elles bénéficiaient. L’histoire de ce roman nous amène au début du XIVème siècle, alors que leur statut se voit remis en question sur fond de diffusion d’idées jugées hérétiques par l’Eglise (et qui préfigurent déjà la Réforme du siècle suivant). Si le style d’écriture ne m’a pas transporté, le fond et la reconstitution historique du Paris médiéval m’ont bien davantage plu. Comme me l’a signalé Maghily, quelques notes de bas de page pour préciser certains éléments auraient pu être les bienvenues et on peut regretter certaines facilités scénaristiques. Cela reste malgré tout un roman historique très intéressant. ...

06.07.2025