Les flibustiers de la mer chimique - Marguerite Imbert

Deuxième roman de la Française et Guadeloupéenne Marguerite Imbert, Les Flibustiers de la mer chimique a reçu un accueil très chaleureux des lecteurs et lectrices francophones, empochant notamment le Grand Prix de l’Imaginaire 2023. Derrière ce nom, qui évoque de vieux romans d’aventure un peu surannés, se dévoile la promesse d’un voyage dangereux, de territoires hostiles et probablement de quelques espèces de pirates. Là-dessus, aucun mensonge sur la marchandise : nous sommes d’emblée cueillis par le naufrage d’un des protagonistes, Ismaël, à la dérive sur un radeau au milieu d’une mer toxique. Heureusement, lui et ses comparses sont bientôt recueillis par une pieuvre géante et un sous-marin atomique qui passait par là. A cette description, on comprend que l’autrice ne se prive pas d’un certain panache dans l’écriture de son univers post-apocalyptique. Loin d’être mort, ce monde grouille de vie, mais les humains y sont en nombre réduit et luttent pour leur survie au sein de communautés plus ou moins stables. En parallèle d’Ismaël, qui se débrouille à bord de son sous-marin baroque, on suit l’histoire d’Alba, jeune femme isolée récupérée au fond d’une grotte par des envoyés de Rome, où une sorte de civilisation semble vivoter. Particulièrement érudite pour son époque, elle semble souffrir de quelques troubles mentaux et posséder un égo démesuré. Elle est apparemment très importante pour Rome, ce qu’elle trouve tout à fait normal même si elle ne sait pas pourquoi. ...

03.12.2023

Le Grand Livre - Connie Willis

En matière de littératures de l’imaginaire, Connie Willis est une habituée des prix : onze prix Hugo, sept Nebula et douze Locus empochés entre le début des années 1980 et le début des années 2010, ce qui en fait probablement la personne la plus primée du genre. Le Grand Livre, à qui on s’intéresse aujourd’hui, a reçu les trois et est sorti en 1992. Ceci posé, voici l’idée générale : dans un futur proche, il est possible d’envoyer des gens dans le passé. Lorsqu’il s’agit d’étudier l’histoire, cette invention est bien sûr une formidable opportunité sur laquelle les universités telles qu’Oxford se sont jetées. L’autrice évacue tout de suite le problème des paradoxes temporels : c’est impossible, merci bonsoir (et tant mieux, on ne s’attardera pas sur cette question). Toutes les périodes ne sont toutefois pas aussi accueillantes, et s’il y en a une qui a été jusque là évitée comme la peste (vous allez voir, c’est une petite blague), c’est bien le Moyen Âge. Or Kivrin, jeune historienne enthousiaste, s’apprête à faire le grand voyage vers le XIVème siècle. Son mentor, un historien plus âgé, y est totalement opposé, mais la prépare à contrecœur, considérant que le responsable de ce projet est un incapable doublé d’un inconscient. On peut effectivement se demander s’il est vraiment raisonnable d’expédier qui que ce soit une trentaine d’années avant le déferlement de la peste noire. Toujours est-il que ce personnage nous décrit une époque qui, en tant que fidèle auditeur du podcast Passion Médiévistes, peut sembler exagérément sombre, triste, désespérée et pour tout dire un peu clichée. ...

30.10.2023

Les Cartographes - Peng Shepherd

Prévenons d’emblée : je n’ai pas du tout aimé ce livre. Au début, j’étais pourtant curieux : Nell, la protagoniste, enquête sur la présence incongrue d’une vieille carte routière dans les affaires de son père. Une carte sans intérêt qui, elle n’a jamais compris pourquoi, lui a valu son renvoi de la prestigieuse New York Public Library. L’événement a brisé sa carrière et sa vie d’autant plus violemment que c’est son propre père qui l’a mise dehors. Jusqu’ici, on a affaire à un mystère teinté d’affaire de famille assez banal, mais s’ajoute à cela une dimension fantastique quant à la nature des cartes elles-mêmes. Cet aspect fantastique puise son inspiration dans une anecdote que l’autrice raconte dans la postface. Une super anecdote historique, à vrai dire : l’histoire d’Agloe, un village imaginaire inscrit sur une carte dans le but de détecter d’éventuelles copies de celle-ci (car si le village n’existe pas il n’a aucune raison de figurer sur des cartes de concurrents). Or des habitants de la région ont fini par s’approprier son nom, le faisant ainsi exister. J’adore l’idée, j’aime malheureusement beaucoup moins ce qu’elle devient dans ce roman. Je n’ai tout simplement pas réussi à y croire, alors que je ne demandais que cela. ...

17.09.2023

Hildegarde - Léo Henry

Avec ce roman, je savais que je m’attaquais à quelque chose de spécial. Je m’attendais à un livre ardu, n’évoquant son principal sujet qu’à demi-mot, passant régulièrement du coq-à-l’âne et multipliant les passages à la limite du cryptique. Comme j’étais très intrigué, j’ai quand même eu envie de le lire. Hildegarde de Bingen, dont je n’avais pourtant jamais entendu parler, a vécu au XIIème siècle du côté de l’actuelle Allemagne. Multipliant les casquettes, elle était, je cite Wikipédia : à la fois abbesse, mystique, visionnaire, illustratrice, compositrice, poétesse, fondatrice et prédicatrice franconienne." C’était aussi “une figure marquant l’apogée de la médecine monastique à la fin du Haut Moyen Âge.” Un superbe CV, aujourd’hui presque suffisant pour décrocher un CDD à mi-temps. J’étais toutefois prévenu : de Hildegarde, il n’en serait pas vraiment question avant un paquet de pages. ...

02.09.2023

Le guet des orfèvres - Terry Pratchett

On ne présente plus le Disque-monde, l’univers de fantasy satirique auquel Terry Pratchett a donné vie à travers une bonne quarantaine de bouquins. J’essaye de mon côté d’en lire un de temps en temps, parce qu’en général ça me fait du bien. Pas vraiment dans l’ordre, plutôt en fonction des thèmes et des personnages que j’ai envie de rencontrer (le cycle étant composé de quelques romans indépendants et surtout de sous-séries avec leurs personnages récurrents). Cette fois-ci, j’ai eu envie de retourner voir le guet de nuit de la cité d’Ankh-Morpork. Je me suis donc procuré Le guet des orfèvres, pour y retrouver la petite troupe dirigée par le capitaine Sam Vimaire. ...

19.08.2023

Gideon la Neuvième - Tamsyn Muir

A certains égards, Gideon la Neuvième pourrait être un jeu-vidéo plutôt cool. On y incarnerait une guerrière badass et/ou une nécromancienne dans un immense palais décrépit. Elles y résoudraient des énigmes et affronteraient d’étranges ennemis, le tout dans un univers de dark fantasy mâtiné de science-fiction. A un univers étrange et bien fichu, la Néo-zélandaise Tamsyn Muir s’est permis d’ajouter une bonne histoire, des personnages étonnants et, finalement, décidé d’en faire un roman (après tout, les amateurs de jeux ont déjà les Dark Souls). Gideon, pour commencer, en impose. Excellente guerrière au caractère de cochon, elle ne désire rien d’autre que de fuir sa planète natale, la lugubre Neuvième Maison (les Maisons correspondant grosso modo aux neuf planètes du système impérial). Elle voue une haine aussi tenace que réciproque à Harrowhark, jeune et puissante nécromancienne avec laquelle elle se retrouve obligée de coopérer. En effet, l’Empereur appelle à lui ses Maisons et les voilà donc en route vers la capitale. A la clé : l’immortalité, probablement. ...

06.08.2023

Le chant du Drille - Ayerdhal

Il y a trois ans, au début du premier confinement, plusieurs éditeurs (dont notamment Au diable vauvert) ont eu la bonne idée de rendre disponible gratuitement toute une série de romans sur lesquels je me suis jeté. Celui-ci, Le chant du Drille, traînait tristement au fond de ma liseuse depuis lors, mais je me suis enfin décidé à lui prêter attention. Il s’agit d’un roman de science-fiction français au pitch assez classique, à base de colonisation de planète paradisiaque perturbée par un événement inattendu. Le scénario ne manque pourtant pas d’originalité. Sa principale attraction, ce sont ces fameux drilles : des petits humanoïdes placides, voire indifférents, remarquables par leur chant envoutant. Préalable indispensable à la colonisation de la planète, leur étude n’a pas révélé de signes d’intelligence. Pourtant, alors que les humains occupent les lieux depuis des décennies, les drilles s’installent soudain en masse dans les villages humains pour s’y laisser mourir lentement. Bon pour le moral ! C’est ainsi que Lodève, Inspectrice générale des Colonies, est envoyée sur place pour enquêter sur la situation et prendre les décisions qui s’imposent. Elle rencontre ainsi une série de personnages clés (intéressants et variés) afin de résoudre le mystère de ce comportement suicidaire. ...

20.07.2023

Evaristo Carriego - Jorge Luis Borges

Vu ses pages toutes brunies par les années, j’ai dû trouver ce petit livre il y a dix ou quinze ans dans une bouquinerie, pour ne jamais l’ouvrir jusqu’à cette année. De Borges, je connaissais déjà L’Aleph et Fictions, deux recueils de nouvelles étranges, tirant vers le fantastique, l’imaginaire ou l’expérimental, parus dans les années 1940. Une de celles qui m’a le plus marqué est probablement Pierre Ménard, auteur du Quichotte dans lequel l’auteur argentin esquisse une biographie pleine d’érudition d’un auteur français des années 1930 qui n’a jamais existé. Tout ça pour dire que cet Evaristo Carriego, dont ce livre est une espèce de courte biographie, j’ai d’abord vérifié qu’il avait vraiment vécu. Surprise : c’est bien le cas, c’était même un ami du père de Borges. Malgré tout, le doute subsiste. Difficile en effet de savoir si tout cela est vraiment fiable, si le poète décrit par l’auteur existe ailleurs que dans sa tête. Et en fait on s’en fiche, on se laisse porter. Borges est une sorte de magicien, qui parvient à m’intéresser à des sujets dont je me fiche au minimum poliment. La poésie sud-américaine, par exemple, qui à la base n’est pas mon truc : quand Borges en parle je suis fasciné. Quant à sa reconstruction des faubourgs de Buenos Aires à la fin du XIXème siècle, un point géo-historique qui ne me concerne pourtant que fort peu, je m’y suis senti à la maison, arpentant les rues, attentif à l’évocation des sonorités de guitare. ...

01.07.2023

On ne joue pas avec la mort - Emily St. John Mandel

A travers mes lectures de L’hôtel de verre (cinquième roman d’Emily St. John Mandel) et de Dernière nuit à Montréal (son premier), j’ai identifié trois éléments récurrents : 1) une matière : le verre ; 2) des relations familiales compliquées, marquées par la perte et l’abandon ; 3) une légère touche de fantastique. Il s’agit aussi de deux très bons polars qui m’ont passionné de par leur atmosphère froide et leur absence de linéarité. C’est rare, mais c’est ainsi que je me suis retrouvé à ouvrir un troisième livre de la même autrice en moins d’un an. On ne joue pas avec la mort est son deuxième roman. ...

18.06.2023

Mort aux geais ! - Claire Duvivier

Mort aux geais ! Voilà un étrange nom. Sorti en fin d’année dernière, ce roman est la suite du Citadins de demain et il appartient à la double trilogie de La Tour de Garde. Pour rappel, nous y lisons parallèlement deux histoires : celle de la Capitale du Nord écrite par Claire Duvivier, et celle de la Capitale du Sud, écrite par Guillaume Chamanadjian. Cap au nord donc, pour y retrouver la cité de Dehaven et notre protagoniste Amalia. Mais avant cela, quelques considérations géo-historiques sur le cycle. Dehaven, d’abord. Cité-état du nord, colonialiste, tirant profit de son empire maritime et dirigée par une aristocratie austère qui exploite ses classes populaires, elle n’est pas sans rappeler des entités de culture protestante telles que les Pays-Bas du XVIIème siècle ou encore l’Empire britannique. A cette toile de fond s’ajoutent de sérieux troubles politiques et sociaux : les colonies n’entendent plus se laisser faire et les classes populaires s’organisent dans les faubourgs, donnant à l’ensemble un parfum mêlé de guerre et de révolution. En ce qui concerne Gemina, c’est un peu plus flou pour moi. Située au sud, politiquement morcelée et réputée pour sa bonne bouffe, elle peut rappeler des régions catholiques, par exemple les diverses principautés italiennes d’avant l’unification du pays, mais je crois que certains éléments m’échappent. Tout ça pour dire que Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian semblent avoir puisé dans l’histoire européenne au sens large pour construire leur univers et leurs histoires, sans pour autant concevoir un simple décalque historique agrémenté de magie. ...

10.06.2023