Vernon Subutex 3 - Virginie Despentes

J’avais beaucoup aimé le premier tome et adoré le second, mais j’ai attendu quatre ans pour me lancer dans le troisième Vernon Subutex. L’intrigue commencée dans le premier tome y avance vers son dénouement, mais s’agissant d’une suite à peu près directe je n’en dirai évidemment pas trop sur son contenu. De toute façon, nous y suivons toujours Vernon et son groupe hétéroclite (de la SDF endurcie au trader cocaïnomane) dans leurs expérimentations sociales et musicales. Chaque chapitre s’attarde d’ailleurs sur un personnage différent, avec son propre point de vue sur les événements en cours. Crédibles, tantôt attachants tantôt infâmes, ces derniers font tout le sel de l’histoire. A ce propos, Virginie Despentes a eu la bonne idée d’introduire son livre par une brève présentation de chaque protagoniste : une initiative fort bienvenue qui m’a permis de me remettre en selle sans trop de casse. ...

28.11.2021

Vorrh - Brian Catling

Attiré par sa réputation de roman génial, j’ai choisi ce mois de novembre aussi chargé que nuageux pour m’attaquer à Vorrh, publié en 2012 en anglais, puis traduit en français en 2019. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment de me confronter à un livre d’une telle densité, mais qu’importe. Ecrit par l’Anglais Brian Catling, également sculpteur et poète, il s’agit là d’un roman plutôt difficile d’accès, peuplé par une quantité de personnages complexes et, il faut bien le dire, rarement sympathiques. Certains revêtent un caractère mythologique (un cyclope), d’autres sont plutôt des personnalités historiques (un écrivain français, un photographe britannique), d’autres encore se contentent de suivre leur chemin obscur en se fichant bien de notre avis et de nos questions. Sans rentrer dans les détails de l’histoire (certains l’ont déjà très bien fait), la Vorrh, forêt qui donne son nom au livre, en est le centre de gravité, et son voisinage contre-nature avec une ville nommée Essenwald (coucou la colonisation) est un des moteurs d’une intrigue aux ramifications parfois très éloignées les unes des autres, mais qui finissent toujours par s’entrecroiser. ...

21.11.2021

After®, Auriane Velten

Ce dimanche 1er novembre, After®, premier roman de la Française Auriane Velten, a reçu le prix Utopiales 2021. Il se trouve que je venais juste de le terminer : le hasard fait si bien les choses. Il s’agit d’un roman apparenté au post-apocalyptique, bien davantage orienté vers la réflexion et le dialogue que vers l’action et la survie. Bien longtemps après la “catastrophe”, un petit groupe d’humains vit au sein d’une petite société aux règles strictes et immuables, à commencer par l’égalité absolue de ses membres, desquels une profonde humilité est exigée. Un Dogme auquel chacun se soumet volontiers pour assurer la survie de l’espèce. Un jour, le Conseil décide d’envoyer deux personnes enquêter sur le passé de l’humanité. Deux personnes bien différentes : si Cami est avide de savoir, au risque de briser le Dogme, Paule s’assure au contraire de préserver son respect à tout prix. La première chose que l’on constate en ouvrant ce livre, c’est l’exercice de style : l’autrice pratique en effet une forme d’écriture inclusive, déroutante au début, mais à laquelle on s’habitue assez rapidement. Sur la forme, c’est donc intéressant et cohérent avec l’univers qui nous est présenté. Sur le fond, je suis un peu embêté. Ce n’est pas que la lecture m’ait été désagréable, au contraire : ça se lit bien, et comme il s’agit d’un récit plutôt court il est même assez efficace. Mais je crois qu’une certaine prévisibilité, peut-être même un sentiment de déjà-vu, ainsi que l’impression d’un univers esquissé davantage que développé (et d’ailleurs pourquoi pas), m’ont un peu laissé sur le côté. Question de goût ? Mauvais timing ? Tant pis pour moi. Il n’en reste pas moins que les amateurs et amatrices du genre ont manifestement toutes les chances d’apprécier. ...

03.11.2021

Au carrefour des étoiles - Clifford D. Simak

Les traductions, c’est tout un débat. Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? Que perdons-nous exactement à lire un livre traduit plutôt que sa version originale ? En ce qui me concerne, aucune idée (ou si peu). En tout cas, Au carrefour des étoiles, classique de la science-fiction écrit par Clifford D. Simak en 1963, est justement ressorti cette année assorti d’une nouvelle traduction française, signée Pierre-Paul Durastanti. Gardant un très bon souvenir de Demain les chiens, autre classique de la SF du même auteur (également retraduit, par le même traducteur, en 2013), je me suis penché dessus. Il raconte l’histoire d’Enoch Wallace, un vieux monsieur largement centenaire et pourtant toujours fringuant, reclus dans une ferme au fin fond du Wisconsin. Ni l’homme, ni la ferme ne vieillissent, et pour cause : l’endroit sert de relais spatial pour une vaste civilisation galactique. Concrètement, grâce à une technologie fort complexe, des voyageurs extraterrestres y font régulièrement escale, avant de continuer leur chemin vers une destination lointaine. Depuis des décennies, Enoch Wallace s’acquitte de sa tâche de gardien avec application et s’est même fait quelques amis parmi ses hôtes de passage. Sa jeunesse prolongée suscite par contre des interrogations dans son village, ainsi qu’en plus haut lieu. ...

27.10.2021

Emissaires des Morts - Adam-Troy Castro

Quatre nouvelles et un roman, c’est en réalité ce que nous réserve ce gros livre de science-fiction et d’enquêtes écrit par Adam-Troy Castro, traduit en français en début d’année. Les nouvelles, qui s’étendent sur environ 300 pages, nous servent en fait d’introduction à l’univers et surtout à la protagoniste, Andrea Cort. Enquêtrice et diplomate à tendance misanthrope, elle est hantée par un passé traumatique et pâtit d’une réputation difficile à porter. Toutefois, elle a pour qualité d’être très compétente dans son domaine : résoudre des affaires délicates impliquant humains et espèces extraterrestres. Ces nouvelles, donc, servent en partie d’introduction, mais constituent surtout de vraies enquêtes efficaces qui ont un impact sur la suite des événements et déploient des idées très intéressantes. Démons invisibles, par exemple, avec son espèce extraterrestre singulière, m’a rappelé pourquoi j’aimais la science-fiction. ...

10.10.2021

À dos de crocodile - Greg Egan

Si certains romans laissent parfois planer le doute quant à leur genre, d’autres par contre sont sans ambiguïté. C’est généralement le cas des récits de Greg Egan, un auteur australien résolument tourné vers la hard-science-fiction, susceptible de réserver de grands moments d’émerveillement aux amateurs, en contrepartie de maux de tête sévères. Il y a un peu de tout ça dans sa dernière novella publiée dans la collection Une Heure-Lumière. La bonne nouvelle, c’est qu’À dos de crocodile réussit également à faire montre de sensibilité et de douceur. En moins d’une centaine de pages, nous y parcourons des dizaines de millénaires en compagnie d’un couple, Leila et Jasim. Ces derniers, déjà bien âgés (avec plus de 10000 ans de vie commune, c’est ce qu’on appelle un euphémisme) cherchent à établir un contact avec les Indifférents, de mystérieuses entités qui se tiennent poliment mais fermement isolées du reste des espèces composant la civilisation galactique. Il y a presque quelque chose du conte dans cette histoire de vieux couple porté par un vaste et dernier projet, mais qu’on ne s’y trompe pas : certains passages, heureusement plutôt courts (et peut-être assez dispensables), laisseront de côté les moins motivés. Bref, un voyage vertigineux dans le temps et l’espace, des concepts scientifiques abscons et un mystère céleste : une bonne novella de Greg Egan pour qui sait à quoi s’attendre. ...

02.10.2021

La Survie de Molly Southbourne - Tade Thompson

Une fois n’est pas coutume, et pour rester dans la série Une Heure-Lumière, il est ici question d’une suite : La Survie de Molly Southbourne, de Tade Thompson (auteur britannique d’origine nigériane, psychologue et également auteur de la série de romans Rosewater, que l’on peut rattacher à l’afrofuturisme). Mais tout d’abord, retour rapide sur le premier opus, Les Meurtres de Molly Southbourne, très original et plutôt dérangeant, qui avait fait parler de lui lors de sa publication française en 2019. Nous y suivons Molly, dont la vie tourne bien malgré elle autour d’un problème de taille. En effet, lorsqu’elle saigne, des doubles d’elle-même surgissent du néant pour la tuer, ce qui lui complique un peu le quotidien. Dans cette suite, publiée l’année suivante dans la même collection, l’auteur choisit un angle d’approche un peu différent et nous permet d’explorer plus profondément les mécanismes de cet univers. A vrai dire, j’ai été surpris de constater que la série est souvent classée dans le genre de l’horreur, même si c’est difficilement contestable. Etonnamment, les scènes horrifiques et/ou gores ne m’ont pas plus repoussées que cela, alors que j’y suis pourtant particulièrement sensible (et que je les évite généralement). Non qu’elles soient insipides, elles sont peut-être simplement bien écrite et suffisamment claires pour être percutantes, sans être trop graphiques (à mon goût). Pour une analyse approfondie, je conseille d’ailleurs vivement la lecture de ce billet de blog. Toujours est-il que ce récit d’une grosse centaine de pages fonctionne très bien et conserve tout l’intérêt du premier tome, qu’il est tout de même conseillé d’avoir lu au préalable. ...

29.09.2021

Ormeshadow - Priya Sharma

Dans la série des novellas Une Heure-Lumière, place à Ormeshadow, de la romancière britannique Priya Sharma. Nous sommes en Angleterre au XIXème siècle et ni joie, ni insouciance, ni légèreté ne figurent au programme de ce drame familial. Il s’agit en effet de la triste histoire de John et Clare Belman qui, accompagnés de leur fils unique Gideon, sont contraints de quitter leur ville pour une ferme occupée par le frère de John, Thomas, et sa famille. Ce dernier, personnage tyrannique, viriliste et cruel, leur réserve un accueil chaleureux (c’est faux). Au milieu de tensions déchirantes, Gideon profite de quelques moments avec son père, intellectuel et rêveur, pour découvrir une vieille légende familiale : une dragonne dormirait depuis des siècles sous les terres de la ferme. Avec ce contexte anxiogène, la présence fantomatique d’un potentiel univers fantastique et un enfant pris dans la tourmente, difficile de ne pas déceler quelques points communs avec Le fini des mers, évoqué ici. La comparaison s’arrête là, Ormeshadow étant beaucoup plus récente (2019) et la narration bien différente. Concrètement, c’est une histoire qui nous tient en haleine de bout en bout, sans négliger le travail sur l’ambiance (qui n’est donc : pas fun). Au passage, notons qu’avec ses 170 pages, ce récit est plutôt long au regard des standards de la collection. Toujours est-il que le simple souvenir de l’oncle Thomas me donne des maux de ventre rien que d’y penser et que, si cette histoire est particulièrement dramatique, elle est surtout très réussie. ...

26.09.2021

Le fini des mers - Gardner Dozois

Ma bibliothèque habituelle a le bon goût de proposer quelques novellas de la collection Une Heure-Lumière, spécialisée en science-fiction, fantasy et fantastique. J’en ai donc pioché quelques-unes, à commencer par Le fini des mers, un récit de Gardner Dozois initialement publié en 1973 et traduit vers le français en 2018. Sa couverture énigmatique n’est pas sans rappeler un certain film de Denis Villeneuve sorti en 2016 (Arrival, ou Premier Contact en français). Mais non, on oublie : ce film est adapté d’une nouvelle, par ailleurs géniale, de Ted Chiang parue en 1998 (L’histoire de ta vie, qu’on retrouve en français dans le recueil La Tour de Babylone : lisez-le), soit 25 ans après Le fini des mers. Seule la situation initiale les associe vraiment : d’immenses vaisseaux ovoïdes surgissant un beau matin et se contentant d’attendre. Ici, deux récits s’entrecroisent : la grande, à savoir la réaction du monde face à cette possible menace, et la petite, celle d’un enfant en grande difficulté scolaire, plus à l’aise avec les “Autres”, des êtres invisibles exceptés pour lui, qu’avec les adultes. Il est donc question de santé mentale, d’isolement et de difficultés de communication. Je sais : dit comme ça, ça ressemble quand même beaucoup à Arrival. En fait, malgré le concept et le propos alléchants, je dois malheureusement avouer être passé complètement passé à côté du propos. Frustré, j’ai creusé ailleurs pour y voir plus clair, et suis notamment tombé sur cette analyse enthousiaste. Il n’empêche, ennuyé par la narration et gêné par certains passages qui accusent leur âge, je suis passé sans regret à ma lecture suivante. ...

23.09.2021

L'Arithmétique terrible de la misère - Catherine Dufour

L’année passée, Catherine Dufour a sorti l’incroyable Au bal des absents, mais pas seulement. En effet, l’autrice française a également fait paraître L’Arithmétique terrible de la misère, son second recueil de nouvelles. Celui-ci en contient dix-sept, aux sujets variés, mais toutes réunies par une tonalité énervée et politique. La nouvelle presque éponyme (L’arithmétique de la misère), par exemple, anticipe les futures crises climatiques en nous offrant, malgré, tout un motif d’espoir dans la révolte. Quant à En noir et blanc, et en silence, elle reprend le vieux thème de la vie éternelle pour parler de dominations (masculine, de classe…). Dans l’ensemble du recueil, la technologie est bien présente, souvent importante, mais elle finit généralement par s’effacer derrière les personnages ou le contexte socio-politique. L’avenir décrit y est sombre, mais pas toujours désespéré. A chaque fois, le propos est acéré. ...

13.09.2021