Lectures de juillet-août

Au cours de ces deux derniers mois, j’ai lu quelques bouquins et je suis même retourné en bibliothèque, où je n’avais pas mis les pieds depuis trop longtemps. L’occasion de remarquer que les rayons, notamment en matière d’imaginaire, ont été bien renouvelés. En plus de quatre précédents billets déjà rédigés ici, voici un petit bilan de mes lectures de cet été brumeux. J’avais bien vu passer Les Tambours du dieu noir, sorti cette année en français, chez divers chroniqueurs et chroniqueuses de l’imaginaire, mais je n’avais pas vraiment idée de son contenu. On y trouve en réalité deux courts récits. Le premier, qui donne son nom au livre, se déroule à La Nouvelle-Orléans dans un XIXème siècle alternatif et un tantinet magique. L’enjeu n’y est autre que la survie de ce territoire libre et indépendant, régulièrement assailli de tempêtes démentielles, tandis que l’esclavage est toujours une réalité sur une partie de ce qui fut les Etats-Unis. Le second récit (L’étrange affaire du djinn du Caire), lui, se déroule au Caire au début du XXème siècle : là encore, uchronie et fantastique vont de pair, et nous quittons l’aventure pour un récit plus policier. Les qualités du livre sont réelles (qu’il s’agisse des points de vue proposés, du propos ou des univers déployés), mais je dois bien avouer avoir eu la tête ailleurs pendant la majorité de la lecture. Dommage pour moi. ...

02.09.2021

L'enfant de poussière - Patrick Dewdney

Sept tomes : c’est le nombre de livres que devrait compter le Cycle de Syffe, qui semble être le nouveau porte-étendard de la fantasy française. Dans ce premier opus, L’enfant de poussière, Patrick Dewdney, auteur français d’origine britannique, dépeint un univers médiéval dont la magie est (presque ?) absente. Nous y rencontrons Syffe, alors enfant de huit ans, orphelin, étranger et élevé par une veuve austère. On en conviendra, ce ne sont pas là les meilleures cartes pour débuter dans la vie, a fortiori lorsque la mort du Roi signe le grand retour de l’instabilité sur le territoire. C’est donc à travers un contexte politique changeant et complexe que Syffe doit survivre et se frayer un chemin. Pas de narrateur omniscient ici, ni même de grande quête épique. Nous percevons cette histoire à travers les yeux d’un enfant confronté à une avalanche d’emmerdements, qui a autre chose à faire que d’étudier son environnement dans les détails. Cela nous est donc distillé de façon parcellaire, et ça fonctionne très bien. Syffe, toute poussière qu’il est, rencontrera heureusement quelques figures amicales : on prend d’ailleurs grand plaisir à constater que certains personnages, de prime abord plutôt classiques, réussissent finalement à surprendre. Pour ne rien gâcher, ce livre de plus de 600 pages est écrit dans une fort jolie langue française. Tout cela pour dire que ce premier tome très réussi promet un cycle de fantasy original, ambitieux et sans pitié. ...

27.08.2021

Le Moineau de Dieu - Mary Doria Russell

Certains romans, même en version numérique, semblent avoir des pages jaunies par le temps. Le Moineau de Dieu, de l’Américaine Mary Doria Russell, n’est pourtant pas si vieux. Sorti en 1996, sept ans après Hypérion (on y reviendra), il a par la même occasion reçu quelques prix littéraires liés à l’imaginaire (notamment le Prix Arthur C. Clarke en 1998). Dès le titre, nous sommes prévenus : il est ici beaucoup question de religion (catholique essentiellement) - allergiques s’abstenir. Et pour cause : après avoir capté, depuis le radiotélescope d’Arecibo, ce qui ressemble fort à des chants extraterrestres, la Compagnie de Jésus décide de mettre en place une expédition spatiale afin d’aller les rencontrer. Là où ça se corse, c’est que nous suivons en parallèle l’épilogue de l’aventure, à savoir la réadaptation du prêtre Emilio Sandoz, seul survivant, revenu bizarrement mutilé et psychologiquement ébranlé. Un sort funeste qui contraste avec l’optimisme, voire la naïveté, qui entoure l’organisation du projet. ...

17.08.2021

Redshirts - John Scalzi

Prix Hugo en 2013, pratiquement donné lors d’une énième solde numérique du début de l’été, Redshirts : au mépris du danger ne faisait pas vraiment partie de mes priorités. Derrière un nom aussi grotesque se cache en fait un roman parodique écrit par John Scalzi (que vous avez peut-être déjà rencontré sur Netflix via les épisodes Les Trois Robots ou La revanche du yaourt de la série Love, Death and Robots). Le récit débute comme un épisode de Star Trek : alors que de nouveaux personnages intègrent le vaisseau amiral de la flotte, ils réalisent rapidement que quelque chose cloche. En effet, comment se fait-il que le taux de mortalité y soit si élevé, en particulier lors des missions impliquant le capitaine et l’officier scientifique ? Pourquoi l’équipage semble-t-il éviter ces derniers comme la peste ? Et pourquoi s’en sortent-ils systématiquement, au contraire de leurs malheureux compagnons anonymes ? Sentant leur vie en danger, nos protagonistes (mais le sont-ils vraiment ?) vont essayer d’y comprendre quelque chose. Si j’ai d’abord craint une overdose de meta et de complaisance vis-à-vis du genre, j’ai finalement été très agréablement surpris. En fait, John Scalzi m’a amené là où je ne m’attendais pas, et plus qu’une blague, a écrit une véritable histoire. Meta certes, parodique bien sûr, mais qui ne s’y réduit pas. On peut évidemment se demander si cela méritait vraiment le prix ultime en matière de science-fiction, mais cela risquerait de nous emmener trop loin. ...

06.08.2021

Un long voyage - Claire Duvivier

Derrière cette jolie couverture se cache le premier roman, apparenté à la fantasy, de la française Claire Duvivier. Un long voyage comporte en fait plusieurs périples. Celui de Liesse, d’abord, le narrateur de cette histoire, enfant insulaire d’origine modeste (c’est un euphémisme), qui devient petit à petit un important dignitaire de l’Empire. Mais c’est aussi, surtout, celui de Malvine Zélina de Félarasie, énergique ambassadrice impériale, à laquelle il lie son destin et qui va connaître un parcours singulier. Ce roman, avec ses 314 pages somme toute rassurantes, parvient merveilleusement à être clair, concis et complet à la fois. L’autrice installe son univers posément, sans précipitation. Elle en dit suffisamment pour que nous visualisions les lieux, comprenions les enjeux, et nous épargne les détails superflus d’une histoire aux événements parfois bien étranges. Et pourtant, la sensation d’avoir voyagé longtemps et d’avoir vu du pays est bien présente lorsque cette histoire se termine. En tournant la dernière page, je me suis dit que c’était quand même vachement bien. ...

31.07.2021

Please Kill Me - Legs McNeil, Gillian McCain

Voilà une bible bien particulière, un pavé mythique que j’ai - enfin - terminé : Please Kill Me: L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, de Gillian McCain et Legs McNeil, recueil d’entretiens réunissant un tas d’acteur et d’actrices (quoique beaucoup moins) du mouvement punk. J’en ressors avec une vague sensation de dégoût fort à propos, et une question médicale : comment Iggy Pop peut-il être toujours parmi nous aujourd’hui ? Plus globalement, il y a comme un paradoxe dans le fait que de telles œuvres aient pu émerger du marasme glauque décrit dans ce livre. Au-delà du contenu, c’est son style qui en fait clairement un document à part. Chaque intervention, ultra subjective par nature, ne donne qu’un éclairage partiel sur la situation, parfois contredisant le précédent et renforçant encore cette impression de chaos et de flou. Personne, d’ailleurs, n’est vraiment sympathique dans cette histoire, et pas grand chose ne nous est épargné. Il y est finalement assez peu question de musique, mais plutôt des parcours chaotiques de personnalités plus ou moins paumées, perchées, politisées, hargneuses ou cyniques. Mais quelque chose émerge de cette impression d’assister à un défilé de soirées moisies, de plans foireux, de blackouts, d’agressions et de morts violentes. J’ai en effet appris et ressenti pas mal de trucs à la lecture de ce bouquin qui, de par ses témoignages, dit beaucoup de la condition sociale de celles et ceux qui peuplent ses pages, et sur son époque. ...

21.07.2021

Inside - Bo Burnham

Après plusieurs années d’absence, le comédien américain Bo Burnham, auteur (notamment) de stand-ups dans lesquels il mélange comédie et chansons, a sorti Inside sur Netflix, un “comedy special” justement un peu spécial. En effet, lorsqu’on s’y lance, on se rappelle vite que nous sommes en 2021 : Inside n’est en effet pas la captation d’un spectacle donné devant un public enthousiaste, mais plutôt seul, dans une unique pièce fermée, et cela sur plusieurs mois. Le résultat relève davantage du film un peu expérimental que du stand-up, et c’est surtout complètement ma came : étrange, sombre, inventif, dérangeant, loufoque (mais drôle aussi). Les chansons rappellent Make Happy, son précédent spectacle, mais le ton se fait plus pesant, parfois oppressant. Et quitte à être tout seul dans sa pièce, Bo Burnham se fait plaisir à coups d’effets visuels de toutes sortes qui renforcent encore la bizarrerie ambiante ou le sentiment de solitude. On se prend ses questions existentielles et angoisses sociales en pleine tronche, mais toujours en chanson. C’est un pur produit de la pandémie (comme la série Staged, dont je parlais ici), et plus globalement de cette époque. Qu’est-ce qu’on rigole ! ...

15.07.2021

En juin, un polar (et le reste)

J’ai célébré la première vague de chaleur de cet été cette fin de printemps par un polar mexicain, La vie même, signé Paco Ignacio Taibo II. Un roman sympathique dans lequel un chef de la police auteur de romans policiers s’emploie au moins autant à résoudre le meurtre d’une Américaine, qu’à garder vivante la flamme de la gauche à Santa Ana, “ville rouge”. Avec l’aide de ses adjoints et de divers responsables aux méthodes parfois originales, il fait face comme il peut aux assauts du parti gouvernemental, le PRI (qui, comme je l’ai appris pour l’occasion, était hégémonique au Mexique dans les années 80). Comme l’écrit lui-même le protagoniste dans ses notes : “Il s’agit d’un roman avec de foutus crimes, mais l’important ce ne sont pas les crimes, c’est (comme dans tout roman policier mexicain) le contexte.” ...

01.07.2021

Numérique - Marina & Sergueï Diatchenko

Numérique - Brevis est, par Marina et Sergueï Diatchenko, est le second tome du cycle des Métamorphoses, dont le premier opus n’est autre que le fameux Vita Nostra, qui m’a tellement plu en ce début d’année. Il ne s’agit pas d’une suite : il n’est plus ici question d’institut étrange ni de professeurs sadiques. Pourtant, on retrouve des ingrédients qui nous sont familiers. Arsène, le protagoniste, un adolescent dont la vie tourne principalement autour des jeux-vidéo, voit son quotidien changé lorsqu’il rencontre un inconnu : Maxime. Ce dernier lui propose de participer à un concours consistant essentiellement à tester des jeux nouveaux : s’il l’emporte, il pourra travailler pour lui. Cette fois-ci, on ne force personne, Arsène n’a à perdre que ses rêves de gloire. Toutefois, si ce dernier est un champion de la manipulation en ligne, Maxime n’est évidemment pas en reste. ...

19.06.2021

Bilan de mai

En ce mois de mai, synonyme de retour timide à une forme de vie sociale entre deux averses de grêle, j’ai enfin terminé la trilogie des Livres de la Terre fracturée (pour en dire beaucoup de bien ici). En prime, la lecture m’a emmené voyager loin dans l’espace, ainsi qu’au Japon. Difficile de dire lequel était le plus dépaysant des deux. Commençons par L’incivilité des fantômes, le premier roman de Rivers Solomon. Paru en français en 2019, on y embarque dans un vaste vaisseau spatial dans lequel vit une partie de l’humanité (ou ce qu’il en reste). La société qu’on y découvre est profondément raciste : les Noirs, réduits en esclavage, y travaillent aux tâches les plus difficiles et avilissantes tout en subissant la violence quotidienne des Blancs. Aster, très compétente en botanique et en médecine, cherche par ailleurs à y décrypter les écrits de sa mère défunte. Elle peut notamment compter sur son imprévisible amie Giselle, ainsi que sur un personnage à la fois critique et proche du pouvoir, Théo. Tant ses difficultés de communication (le mot autisme n’est jamais écrit, mais on le devine) que des traumatismes passés - et présents - pèsent sur Aster, mais ne l’empêchent pas d’oeuvrer à sa façon contre un pouvoir de plus en plus en oppresseur. Ce roman est peut-être plus intéressant pour le développement de ses personnages et leurs relations complexes que pour son intrigue, mais n’en reste pas moins très réussi. ...

04.06.2021