Un long voyage - Claire Duvivier

Derrière cette jolie couverture se cache le premier roman, apparenté à la fantasy, de la française Claire Duvivier. Un long voyage comporte en fait plusieurs périples. Celui de Liesse, d’abord, le narrateur de cette histoire, enfant insulaire d’origine modeste (c’est un euphémisme), qui devient petit à petit un important dignitaire de l’Empire. Mais c’est aussi, surtout, celui de Malvine Zélina de Félarasie, énergique ambassadrice impériale, à laquelle il lie son destin et qui va connaître un parcours singulier. Ce roman, avec ses 314 pages somme toute rassurantes, parvient merveilleusement à être clair, concis et complet à la fois. L’autrice installe son univers posément, sans précipitation. Elle en dit suffisamment pour que nous visualisions les lieux, comprenions les enjeux, et nous épargne les détails superflus d’une histoire aux événements parfois bien étranges. Et pourtant, la sensation d’avoir voyagé longtemps et d’avoir vu du pays est bien présente lorsque cette histoire se termine. En tournant la dernière page, je me suis dit que c’était quand même vachement bien. ...

31.07.2021

Please Kill Me - Legs McNeil, Gillian McCain

Voilà une bible bien particulière, un pavé mythique que j’ai - enfin - terminé : Please Kill Me: L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, de Gillian McCain et Legs McNeil, recueil d’entretiens réunissant un tas d’acteur et d’actrices (quoique beaucoup moins) du mouvement punk. J’en ressors avec une vague sensation de dégoût fort à propos, et une question médicale : comment Iggy Pop peut-il être toujours parmi nous aujourd’hui ? Plus globalement, il y a comme un paradoxe dans le fait que de telles œuvres aient pu émerger du marasme glauque décrit dans ce livre. Au-delà du contenu, c’est son style qui en fait clairement un document à part. Chaque intervention, ultra subjective par nature, ne donne qu’un éclairage partiel sur la situation, parfois contredisant le précédent et renforçant encore cette impression de chaos et de flou. Personne, d’ailleurs, n’est vraiment sympathique dans cette histoire, et pas grand chose ne nous est épargné. Il y est finalement assez peu question de musique, mais plutôt des parcours chaotiques de personnalités plus ou moins paumées, perchées, politisées, hargneuses ou cyniques. Mais quelque chose émerge de cette impression d’assister à un défilé de soirées moisies, de plans foireux, de blackouts, d’agressions et de morts violentes. J’ai en effet appris et ressenti pas mal de trucs à la lecture de ce bouquin qui, de par ses témoignages, dit beaucoup de la condition sociale de celles et ceux qui peuplent ses pages, et sur son époque. ...

21.07.2021

Inside - Bo Burnham

Après plusieurs années d’absence, le comédien américain Bo Burnham, auteur (notamment) de stand-ups dans lesquels il mélange comédie et chansons, a sorti Inside sur Netflix, un “comedy special” justement un peu spécial. En effet, lorsqu’on s’y lance, on se rappelle vite que nous sommes en 2021 : Inside n’est en effet pas la captation d’un spectacle donné devant un public enthousiaste, mais plutôt seul, dans une unique pièce fermée, et cela sur plusieurs mois. Le résultat relève davantage du film un peu expérimental que du stand-up, et c’est surtout complètement ma came : étrange, sombre, inventif, dérangeant, loufoque (mais drôle aussi). Les chansons rappellent Make Happy, son précédent spectacle, mais le ton se fait plus pesant, parfois oppressant. Et quitte à être tout seul dans sa pièce, Bo Burnham se fait plaisir à coups d’effets visuels de toutes sortes qui renforcent encore la bizarrerie ambiante ou le sentiment de solitude. On se prend ses questions existentielles et angoisses sociales en pleine tronche, mais toujours en chanson. C’est un pur produit de la pandémie (comme la série Staged, dont je parlais ici), et plus globalement de cette époque. Qu’est-ce qu’on rigole ! ...

15.07.2021

En juin, un polar (et le reste)

J’ai célébré la première vague de chaleur de cet été cette fin de printemps par un polar mexicain, La vie même, signé Paco Ignacio Taibo II. Un roman sympathique dans lequel un chef de la police auteur de romans policiers s’emploie au moins autant à résoudre le meurtre d’une Américaine, qu’à garder vivante la flamme de la gauche à Santa Ana, “ville rouge”. Avec l’aide de ses adjoints et de divers responsables aux méthodes parfois originales, il fait face comme il peut aux assauts du parti gouvernemental, le PRI (qui, comme je l’ai appris pour l’occasion, était hégémonique au Mexique dans les années 80). Comme l’écrit lui-même le protagoniste dans ses notes : “Il s’agit d’un roman avec de foutus crimes, mais l’important ce ne sont pas les crimes, c’est (comme dans tout roman policier mexicain) le contexte.” ...

01.07.2021

Numérique - Marina & Sergueï Diatchenko

Numérique - Brevis est, par Marina et Sergueï Diatchenko, est le second tome du cycle des Métamorphoses, dont le premier opus n’est autre que le fameux Vita Nostra, qui m’a tellement plu en ce début d’année. Il ne s’agit pas d’une suite : il n’est plus ici question d’institut étrange ni de professeurs sadiques. Pourtant, on retrouve des ingrédients qui nous sont familiers. Arsène, le protagoniste, un adolescent dont la vie tourne principalement autour des jeux-vidéo, voit son quotidien changé lorsqu’il rencontre un inconnu : Maxime. Ce dernier lui propose de participer à un concours consistant essentiellement à tester des jeux nouveaux : s’il l’emporte, il pourra travailler pour lui. Cette fois-ci, on ne force personne, Arsène n’a à perdre que ses rêves de gloire. Toutefois, si ce dernier est un champion de la manipulation en ligne, Maxime n’est évidemment pas en reste. ...

19.06.2021

Bilan de mai

En ce mois de mai, synonyme de retour timide à une forme de vie sociale entre deux averses de grêle, j’ai enfin terminé la trilogie des Livres de la Terre fracturée (pour en dire beaucoup de bien ici). En prime, la lecture m’a emmené voyager loin dans l’espace, ainsi qu’au Japon. Difficile de dire lequel était le plus dépaysant des deux. Commençons par L’incivilité des fantômes, le premier roman de Rivers Solomon. Paru en français en 2019, on y embarque dans un vaste vaisseau spatial dans lequel vit une partie de l’humanité (ou ce qu’il en reste). La société qu’on y découvre est profondément raciste : les Noirs, réduits en esclavage, y travaillent aux tâches les plus difficiles et avilissantes tout en subissant la violence quotidienne des Blancs. Aster, très compétente en botanique et en médecine, cherche par ailleurs à y décrypter les écrits de sa mère défunte. Elle peut notamment compter sur son imprévisible amie Giselle, ainsi que sur un personnage à la fois critique et proche du pouvoir, Théo. Tant ses difficultés de communication (le mot autisme n’est jamais écrit, mais on le devine) que des traumatismes passés - et présents - pèsent sur Aster, mais ne l’empêchent pas d’oeuvrer à sa façon contre un pouvoir de plus en plus en oppresseur. Ce roman est peut-être plus intéressant pour le développement de ses personnages et leurs relations complexes que pour son intrigue, mais n’en reste pas moins très réussi. ...

04.06.2021

Les Livres de la Terre fracturée - Nora K. Jemisin

Au milieu de la production foisonnante que la dernière décennie nous a offert en matière de science-fiction, de fantasy et de fantastique, une autrice afro-américaine, Nora K. Jemisin, s’est démarquée au point de remporter trois années d’affilée (en 2016, 2017 et 2018) le Prix Hugo du meilleur roman. Ce prix, le plus prestigieux du genre, elle l’a obtenu pour La Cinquième Saison (2016), La Porte de Cristal (2017) et Les Cieux Pétrifiés (2018), qui composent ensemble la trilogie des Livres de la Terre fracturée. Les distractions se faisant rares, j’ai profité des derniers mois pour enfin m’y pencher. Le monde que nous y découvrons est bien mal en point. L’humanité occupe un unique continent et se compose de petites communautés fragiles. Peu de réelles villes, et pour cause : régulièrement, un cataclysme quelconque provoque un hiver apocalyptique d’une durée indéterminée. On appelle ça une Saison. Tremblement de terre, tsunami, activité volcanique : il faut être prêt à tout. Une partie de la population dispose pourtant du pouvoir de l’en protéger : les orogènes, capables de contrôler l’activité sismique, et plus globalement la pierre. Pourtant, ces derniers sont méprisés, rejetés voire tués, sauf si le pouvoir central les repère suffisamment tôt et les éduque - cruellement - afin de les utiliser à ses fins. ...

21.05.2021

Trois souvenirs SF

Dans la thématique des souvenirs, j’ai eu envie cette fois d’extraire de ma bibliothèque trois romans de science-fiction qui m’ont un jour fait voyager dans le temps ou l’espace. La faune de l’espace (A.E. van Vogt, 1950) Ce livre occupe une place particulière dans mes souvenirs : je l’ai probablement pioché un peu au hasard en librairie quand j’étais jeune ado, et n’ai découvert que des années plus tard qu’il s’agissait d’un classique du genre. La faune de l’espace est en fait un assemblage de nouvelles, réunies pour former une histoire complète. Cette dernière relate le voyage d’un vaste vaisseau spatial en mission scientifique à travers la galaxie, qui trouve sur son chemin des entités extérieures mystérieuses et potentiellement hostiles. L’équipage compte parmi ses nombreux membres une sorte de super-scientifique-psychologue-spécialiste-en-tout qui, malgré le scepticisme initial de l’équipage, s’avère évidemment précieux. Si l’ouvrage est daté (le livre sous cette forme est paru en 1950, mais certaines nouvelles datent de la fin des années 1930), il a manifestement conservé une bonne part de sa magie, notamment grâce à ses extraterrestres étranges et originaux. Pour l’anecdote, la ressemblance (discutable et discutée) entre l’un d’eux et le célèbre Xénomorphe d’Alien a d’ailleurs donné lieu à un procès entre A.E. van Vogt et la 20th Century Fox. ...

08.05.2021

Bilan d'avril

Ce mois-ci, j’ai lu le polar Après les chiens, écrit par la journaliste niçoise Michèle Pedinielli. La détective privée Ghjulia Boccanera (dite “Diou”) y enquête sur le meurtre d’un réfugié érythréen, tout en cherchant à élucider la disparition d’une jeune femme. L’histoire prend place après les événements de Boccanera (qui inaugure la série), qu’il n’est pas nécessaire d’avoir lu pour en comprendre l’intrigue, même si on retrouve avec plaisir quelques personnages connus. En toile de fond, il est ici question du traitement réservé aux demandeurs d’asile à la frontière entre l’Italie et la France : inutile donc de préciser que, si le récit est fluide et les protagonistes sympathiques, le sujet est plutôt lourd (après tout, on est dans un polar). Je me suis étonné de comprendre assez rapidement où tout cela allait, sans trop savoir si cela me décevait vraiment ou non. Pour autant, ce polar réserve quelques surprises bienvenues et m’a donné envie d’en lire d’autres (en particulier ceux de l’écrivain italien Andrea Camilleri, que dévore la narratrice). Et puis l’extrême-droite y prend pour son grade, ce qui fait toujours plaisir. ...

02.05.2021

Des livres qui ont compté

Regarder High Fidelity (la série adaptée l’année dernière du roman de Nick Hornby), m’a donné envie, outre d’écouter plein de musique, de faire une liste : une liste de livres qui ont occupé une place spéciale à un moment de ma petite existence et qui comptent donc encore d’une façon ou d’une autre. C’est évidemment complètement arbitraire, mais l’exercice de mémoire est amusant. Alors, selon l’expression consacrée, c’est parti pour le top 5 des livres qui ont compté un jour dans ma vie. Haute Fidélité - Nick Hornby (1995) J’ai 19 ans, aucune confiance en moi et je joue dans ce groupe de rock avec mes amis. Un jour on obtient ce plan impensable : on va enregistrer dans un studio. Juste avant de partir enregistrer à Liège - dans un studio ! -, je reçois ce petit bouquin coloré avec un vinyle sur la couverture : “ça devrait te plaire”. Un coup dans le mille, effectivement. A l’époque je vis aussi ma première vraie relation amoureuse, et c’est peu dire que ce roman qui cause de musique, d’amour et de lose, est tombé au bon moment. Usé comme il est, je l’ai probablement lu et relu plusieurs fois. ...

24.04.2021