Deux séries, pour changer

J’ai tout récemment terminé la première saison de High Fidelity, adaptation sortie l’an passé du roman du même nom de Nick Hornby. Ce dernier m’avait beaucoup plu il y a une grosse dizaine petite quinzaine d’années, au point de compter parmi mes livres préférés à une époque. Cette adaptation marque d’emblée deux différences majeures : d’une part le protagoniste du roman, Rob (prototype du mec célibataire un peu loser), est cette fois interprété par Zoë Kravitz, et l’action se déroule à New York et non plus à Londres. Pour le reste, c’est pareil : Rob tient un magasin de vinyles, vit mal la fin de sa dernière relation amoureuse, et fait des listes (à commencer par celle de ses pires séparations). Elle peut heureusement compter sur deux personnages particulièrement attachants : Cherise et Simon, ses amis et employés du magasin. Le tout baigne constamment dans la musique (rock principalement, mais pas uniquement) et, si les références sont évidemment nombreuses, la série prend garde à ne pas perdre ses spectateurs et spectatrices moins au fait de l’histoire de la pop des soixante dernières années. Pour autant, j’ai quand même appris des choses sur le disco ainsi que l’existence de William Onyeabor, et j’en suis très content. Cela me rappelle bien l’esprit du roman, que j’avais su apprécier malgré ma méconnaissance de la vaste majorité des artistes balancés par le narrateur tout au long de l’histoire. Bref, j’ai passé un très bon moment devant cette réinterprétation, qui renouvelle largement le récit original sans le trahir. ...

17.04.2021

Deux livres de Nnedi Okorafor

J’ai récemment terminé le premier tome de Binti, écrit par Nnedi Okorafor. Il s’agit d’un court roman de science fiction, type space opera. Nous y suivons une jeune femme, Binti, la première de son peuple invitée à prendre place au sein de la plus prestigieuse planète-université de la galaxie, étant donné ses talents hors du commun en mathématique. Contre l’avis de sa famille et de son peuple - résolument casanier - elle décide d’embarquer pour cette planète lointaine. Le voyage, toutefois, est brutalement interrompu lorsque le vaisseau est attaqué par des Méduses, une espèce extraterrestre, qui y massacrent l’équipage et dont seule Binti sort vivante. Or cette dernière exerce la fonction d’harmonisatrice, qu’on peut rapprocher de la diplomatie : une capacité bien pratique face à une espèce extraterrestre belliqueuse, mais très à cheval sur les principes. De là s’en suit une histoire dans laquelle la protagoniste se débat d’abord pour survivre, mais surtout pour comprendre le rôle qu’elle y joue. Ce premier tome aborde de nombreux sujets qui, pour la plupart, n’y connaissent pas de dénouement : il faudra pour cela attendre le tome 2, qui sort en français en mai prochain. ...

11.04.2021

Viendra le temps du feu - Wendy Delorme

Avec ce roman sorti en mars de cette année, Wendy Delorme prend d’abord le temps d’installer un monde d’une noirceur d’encre : une dystopie fermée, étouffante et a priori sans espoir, qui rappelle par moments La servante écarlate de Margaret Atwood. Alors que nous faisons connaissance avec leur univers, les protagonistes évoquent des souvenirs d’un temps qui valait (encore) la peine d’être vécu, rendant le présent d’autant plus insupportable. La proximité avec ce qui agite notre époque est par ailleurs flagrante : l’autrice n’a fait que pousser quelques curseurs un peu plus loin et installé les forces conservatrices les plus crasses au pouvoir, sur fond d’effondrement climatique. Mais ce roman n’est pas que sinistre : il réserve en effet de superbes passages, emplis d’amour et de sensualité. Sa lecture est de plus facilitée par un découpage en courtes sections de quelques pages seulement, grâce auxquels nous passons sans arrêt d’une narratrice à une autre. Bien sûr, l’opportunité de se plonger dans une dystopie est peut-être discutable en ces temps compliqués. Toutefois, Viendra le temps du feu comporte, en son cœur même, une solide dose de résistance (notamment féministe et LGBT+), qui en fait tout l’intérêt, nous permet d’envisager l’utopie et de respirer alors que nous frôlons l’asphyxie. ...

07.04.2021

Bilan de mars 2021

Littérairement parlant, c’est La volonté de se battre, troisième tome de la série Terra Ignota, qui m’a surtout occupé ce mois-ci. J’ai déjà évoqué ailleurs mon attachement tout particulier à cette série écrite par Ada Palmer, qui a réussi à construire un univers complexe et fascinant porté par une narration du même niveau. Trop semblable à l’éclair, premier tome de la série, m’a diverti du premier confinement ; Sept Redditions, sa suite, m’a sorti d’un été aux allures de drôle de guerre caniculaire. La volonté de se battre m’a-t-il fait oublier la montée de la troisième vague ? Et bien oui, merci. L’histoire avance, toujours portée par un narrateur dont on se demande tout de même parfois s’il ne joue pas volontairement avec nos pieds ou s’il n’est pas en train de complètement perdre les pédales. Ces facéties narratives nécessitent une véritable implication, mais sont pour moi un vrai plaisir. Qu’importe au fond si le narrateur est fou, j’ai envie de savoir ce qu’il veut me raconter et ce qu’il perçoit de son monde. Force est parfois d’admettre que quelques longueurs et flous artistiques peuvent rebuter les lecteurs et lectrices qui ne seraient pas d’emblée subjugués par l’univers décrit, mais ça ne m’empêchera pas de continuer à en parler à tout le monde avec des étoiles dans les yeux. ...

31.03.2021

Vita Nostra - Marina & Sergueï Diatchenko

Vita Nostra appartient à cette catégorie de livres qui laissent une impression à part et, en ce qui me concerne, le besoin dévorant d’en discuter pour tenter (vainement) d’en épuiser le sujet. On y suit une jeune femme ukrainienne sur le point de commencer des études universitaires. Sauf que, pour une raison qui nous échappe, la voilà forcée de rejoindre un mystérieux institut dans une ville obscure. Quant à savoir ce qu’elle y apprendra, là se trouve une part de l’enjeu. Passé le premier contact cryptique et inquiétant avec ce nouvel établissement, commencent les pourquoi, les comment, les sentiments mêlés d’injustice, de révolte et de curiosité, et surtout cette obsession de continuer, fiévreusement, pour voir où diable cette histoire nous mène. Un bien étrange roman. ...

07.02.2021

Lectures favorites de 2020

C’est l’heure des bouquins de l’année ! Je me suis imposé d’en choisir dix (en trichant juste un peu) et les ai classés arbitrairement pour le plaisir. 1. “Trop semblable à l’éclair”, par Ada Palmer (2016) et “Sept redditions”, par Ada Palmer (2017) : double prix de l’amour inconditionnel pour les deux premiers tomes de la saga Terra Ignota, d’une inventivité folle et qui m’ont transportés comme rarement en cette année où c’était plutôt nécessaire. 2. “Au bal des absents”, par Catherine Dufour (2020) : un roman que je qualifierais de fantastique social enragé. C’est génial. 3. “Mémoire de fille”, par Annie Ernaux (2016) : un exercice de mémoire frappant de justesse, rempli de réflexions sur le processus et le sens de l’écriture autobiographique. ...

28.12.2020

Au bal des absents - Catherine Dufour

Claude, la quarantaine solitaire et sans le sou, se prépare à être expulsée de son appartement lorsqu’un mystérieux contact Linkedin lui propose un job bien payé dans une maison isolée à la campagne. Sa mission : enquêter sur la disparition d’une famille d’Américains. Au pied du mur, Claude accepte : quels choix lui reste-t-il de toute façon ? S’ensuit une histoire mêlant horreur (je n’étais pas prévenu), fantastique et social. Tout le sel d’Au bal des absents tient dans le comportement inattendu de sa protagoniste, personnage qui n’a de toute façon plus grand chose à perdre et dont on suit le parcours avec joie et inquiétude. Catherine Dufour canarde la réalité à travers ce roman fantastique-social enragé superbement écrit, et c’est génial (même si parfois ça fait peur). ...

29.11.2020

L’homme qui mit fin à l’histoire - Ken Liu

Ce petit roman est à part, court et pourtant particulièrement dense. L’auteur, Ken Liu (auteur de SF américain né en Chine), y décrit une intention nouvelle permettant de visiter le passé. Il ne s’agit pas de voyage dans le temps, plutôt d’un moyen de voir, sans interférer, un endroit précis à une époque donnée. Attention toutefois : cette observation n’est possible qu’une seule fois, et par une seule personne, avant de disparaître à tout jamais. L’invention est ici testée sur l’Unité 731, sinistre lieu d’expérimentations humaines de l’armée japonaise en Mandchourie, pendant la seconde guerre mondiale. Derrière cette invention purement imaginaire, il est donc ici question d’histoire et de mémoire collective, et de la façon dont des blessures anciennes continuent d’empoisonner le présent. Ce n’est pas très amusant, mais c’est vraiment brillant et complètement d’actualité. ...

22.08.2020

Trop semblable à l’éclair - Ada Palmer

Si la littérature de l’imaginaire permet beaucoup en matière de nouveaux horizons, il se dit en ce moment qu’elle pourrait gagner à moins se focaliser sur l’annihilation du monde pour s’intéresser davantage à des avenirs meilleurs (ça nous changerait). C’est là que débarque l’historienne Ada Palmer avec sa série Terra Ignota, dont le premier tome Trop semblable à l’éclair est sorti l’an passé en français. Bienvenue dans un 2454 aux allures d’utopie. Un monde en paix, où les déplacements sont faciles et dans lequel les nations, vieilles reliques inutiles, ont été remplacées par des “Ruches” que les citoyens rejoignent à leur convenance (pour ne citer qu’une des idées brillantes de ce récit). Le narrateur de cette histoire, un fascinant personnage, nous raconte pourtant les derniers jours de ce système, qu’on imagine pourtant si solide. Je pourrais en parler des heures : Trop semblable à l’éclair est superbement raconté et d’une richesse folle (tant d’un point de vue de l’écriture que de l’univers), mêlant philosophie, politique et une certaine dose de mysticisme. Et surtout, surtout, il renouvelle le genre en s’éloignant des poncifs de notre époque, en convoquant d’autres périodes de l’histoire et en nous invitant à penser des futurs possibles. En cela, c’est ce que la science-fiction peut offrir de meilleur. ...

20.08.2020

Normal - Warren Ellis

Je ne sais pas vraiment si ce petit roman entre dans le domaine de la science-fiction, mais je peux au moins le qualifier sans hésiter de tordu. Normal se déroule dans une sorte d’hôpital réservé aux veilleurs stratégiques et autres prospectivistes. Ces derniers sont en effet hautement susceptibles de perdre les pédales, à force de tenter de prévoir l’avenir dans leur domaine de compétences. Pour les calmer et les préparer à retourner affronter le monde, on les envoie donc là. Nous y suivons un pensionnaire fraîchement accueilli, isolé de l’extérieur au même titre que ses nouveaux congénères (dans cet institut, une simple connexion internet est un bien précieux). Ensemble, nous découvrons un environnement forcément un peu spécial, dont l’étrangeté croît brusquement lorsqu’un patient disparaît, remplacé dans sa cellule par un gros tas d’insectes. Enlèvement ? Evasion ? Conspiration ? Mystère. C’est en tout cas la dose de folie qu’il me fallait lorsque je m’y suis plongé. ...

19.08.2020