
Depuis quelques temps, j’ai tendance à éviter les dystopies. Il est pourtant difficile d’y échapper longtemps lorsqu’on s’intéresse à l’imaginaire, et je me suis finalement retrouvé en train de commencer 84K, de Claire North, sorti l’an passé en français. Ce n’est pas comme si j’avais été pris par surprise : avec un tel nom, ce roman convoque l’inévitable 1984 de George Orwell. On le sait, ce classique traitait des peurs de la fin des années 1940, à commencer par celle du totalitarisme. Sept décennies plus tard, le monde a bien changé, les peurs aussi. Claire North choisit ici de s’attaquer au capitalisme forcené, dans un Royaume-Uni pas si lointain qui aurait simplement achevé de privatiser l’ensemble des pans de sa société, y compris la justice. Dans 1984, l’Etat est partout, dans 84K, il a presque entièrement disparu. Là où, dans 1984, le protagoniste est un fonctionnaire insipide du “Ministère de la Vérité”, ici, il s’agit d’un employé transparent du “Bureau d’Audit des Crimes”. Son job : calculer les indemnités dues par les criminels. Un système simple : vous avez l’argent, vous remboursez votre dette à la société et à vous la liberté. Vous ne l’avez pas ? Alors c’est plus compliqué.
L’horreur se dévoile progressivement, et ce qui ressemble d’abord à une parodie de notre quotidien (qui a déjà participé à un team-building dans ce qu’il a de plus pathétique comprendra) finit par prendre une toute autre tournure. Au niveau de l’écriture, c’est pas banal : on pourrait décrire le style de l’autrice comme “haletant”, presque oral. Les personnages hésitent, bégayent, ne finissent pas toujours leurs phrases. Tout le monde semble un peu paumé. Ce style particulier, en plus des chapitres courts qui s’enchaînent, participe à la tension d’un récit lui-même principalement composé de flash-backs. Dans l’ensemble, c’est réussi. Malheureusement, à force de haleter on pourrait dire que le roman s’essouffle dangereusement à l’approche de la fin, et c’est un peu dommage. Il n’en reste pas moins que ce 84K s’inscrit dans une tradition bien vivace des dystopies britanniques qui voient juste et font froid dans le dos.
Sortie originale (anglais) : 2018 / Version française : 2021 (traduction : Annaïg Houesnard)