
Dans ma quête apparente de lire l’entièreté des prix Hugo (du meilleur roman) de la décennie 2010, voici le millésime 2014 : La Justice de l’ancillaire, premier tome de la trilogie des Chroniques du Radch, par Ann Leckie. A part le fait qu’on y retrouve quelques poncifs du space opera, comme un vaste empire galactique et des consciences artificielles, une de ses principales particularités est l’impossibilité d’y connaître avec certitude le genre des personnages (tout simplement car, dans cet univers, cela n’a généralement pas d’importance). Et ça, c’est très intéressant.
Pourtant, au cours de ma lecture, j’ai beaucoup pesté sur des choix grammaticaux flous (que je mets sur le compte de la traduction, sans pouvoir en être sûr à 100%), créant un inconfort qui semblait pourtant évitable. Ce n’est bien sûr pas l’incertitude de genre qui m’a gêné, plutôt la façon dont elle est retranscrite. Face à des problématiques semblables, les décisions grammaticales prises par exemple dans Terra Ignota d’Ada Palmer ou After® d’Auriane Velten m’ont paru plus évidents. Les choix opérés ici me laissent donc perplexes, toutefois je salue la tentative de retranscrire la confusion ressentie par le, ou la, protagoniste, lorsqu’il s’agit de manier les pronoms. Si le résultat ne paraît pas optimal, l’impression créée semble, bizarrement, presque voulue.
Ancillaire. Du latin ancillaris, de ancilla (« servante »). Adjectif. Masculin et féminin identiques.
- 1. Qui a rapport aux servantes.
- 2. (Vieilli) (Chimie) Annexe.
- 3. (Médecine) Annexe, qui est nichée dans une autre étude, en parlant d’une étude clinique, greffée sur le protocole d’une autre étude.
Notre protagoniste justement, est un.e ancillaire. Pour commencer à saisir ce terme, je vous renvoie à la définition ci-dessus et je vous propose de vous débrouiller avec ça. Son sens initial a de toute façon été détourné dans le cadre de cet univers pour quelque chose de plus troublant. Tout au long du livre, ce personnage forme avec un second un duo d’êtres à la fois déchus et miraculés, dont le développement m’a surpris. L’empire, ce Radch, dont provient cet.te ancillaire, n’est pas moins étonnant. D’une impitoyable brutalité, il n’inspire pour ainsi dire aucune espèce de sympathie. Il est simplement là, puissant, assimilateur et constituant la réalité avec laquelle il faut bien composer. En plus d’être détestable, il est aussi intrigant à plusieurs égards.
L’atmosphère générale n’est finalement pas sans me rappeler les romans de la saga Teixcalaan d’Arkady Martine (prix Hugo 2020 et 2022, pour le coup), qui elle aussi prend pour sujet un empire galactique ambigu, ses relations avec ses voisins, les dynamiques sociales qui le traversent et les luttes de pouvoir à son sommet. Pour parler franchement, la comparaison était inévitable et j’ai préféré cette dernière (venue plus tard, peut-être est-elle tout simplement plus accessible). Au-delà de mes doutes et questionnements, il n’est toutefois pas impossible que je jette un oeil à la suite de ces Chroniques. Par curiosité plus que par enthousiasme dévorant, mais ce sera déjà ça.
Titre original : Ancillary Justice / Sortie originale (anglais) : 2013 / Version française : 2015 (traduction : Patrick Marcel)