
Avec son titre évoquant les étendues lunaires et sa promesse d’anomalies temporelles, La mer de la tranquillité voit Emily St. John Mandel creuser le genre de la science-fiction en abordant (ce n’est pas une immense révélation de le dire) la question du voyage dans le temps. Dans chaque précédent roman de l’autrice, j’ai vu une raison de jouer, de chercher les bizarreries et les points communs avec d’autres de ses livres. Celui-ci ne fait pas exception à la règle.
Ses liens avec L’Hôtel de verre sont par exemple évidents : il en reprend des personnages et complète certains pans de son intrigue. C’en est presque une suite, même si les deux histoires peuvent certainement se lire dans le désordre. Quant aux rapports avec Station Eleven, son best-seller post-apocalyptique-pandémique, ils sont peut-être encore plus clair : nous suivons pendant toute une partie du roman (peut-être ma préférée) la tournée de promotion d’une jeune écrivaine native de la Lune. Son dernier livre ? Un best-seller post-apocalyptique-pandémique. Difficile de ne pas y voir une transposition pas toujours très subtile de situations vécues par son alter-ego de la réalité véritable, mais sur moi ça marche. C’est aussi l’occasion de revisiter la notion d’épidémie alors que le Covid-19 est passé par là.
Le voyage dans le temps, c’est toujours un peu casse-gueule, mais l’idée est ici mise en pratique proprement et sans prétention. Sur le coup, les descriptions de la Lune m’ont par contre un peu déçu : je les ai trouvées assez ternes et sans grand panache (c’est de ma faute, je ne n’aurais pas dû lire Les Champs de la Lune avant). Avec le recul, elles sont pourtant cohérentes avec les autres écrits de l’autrice, habituée à présenter des lieux comme froids, voire désincarnés (je me souviens notamment de la description de Montréal dans Dernière nuit à Montréal), ce qui contribue à l’atmosphère particulière de ses romans. Peut-être que sur la Lune, lieu de désolation par excellence, l’effet était voué à moins bien marcher. Malgré tout, ça reste un vrai plaisir de faire des liens entre les livres et d’échafauder des théories sur le Mandelverse (un petit tour sur Reddit m’a montré que je n’étais pas le seul et que des choses m’ont certainement échappé). Et puis je l’ai dévoré, preuve que le style d’Emily St. John Mandel n’a pas cessé de me captiver.
Titre original : Sea of Tranquility / Sortie originale (anglais) : 2022 / Version française : 2023 (traduction : Gérard de Chergé)