
Allons droit au but : Saul Pandelakis semble avoir parfaitement saisi l’esprit du temps, pour l’envoyer vers un XXIIème siècle dans lequel l’humanité s’éteint doucement, tandis que les bots conscients prennent leur essor après avoir obtenu leur émancipation. Je ne sais pas si La Séquence Aardtman fera date, mais je serais prêt à en prendre le pari. Ceci posé, continuons.
L’humanité, qui semble avoir renoncé à s’adapter à la Terre et s’irrite de la vitalité des bots, envoie des vaisseaux habités vers l’espace lointain dans un hypothétique espoir de terraformation. Roz, homme transgenre, se trouve à bord d’un de ces bâtiments, l’ari-me. Peu sociable, il y travaille comme informaticien, en charge notamment de la maintenance de l’intelligence artificielle. Asha, elle, est une bot et se trouve sur Terre. Spécialiste de la notion de “corps bot”, elle a été assignée homme lors de son incarnation. Elle côtoie le milieu universitaire et le milieu militant, des humains et des bots, et se débat constamment avec ses propres contradictions. Suite à un événement survenu à bord de l’ari-me, elle va être amenée à discuter avec Roz.
Le roman ne se contente pas d’être un dialogue entre deux personnages, loin de là. Par Asha nous découvrons les difficiles rouages de la vie sur Terre dans cet avenir si proche, classique hyperbole de notre propre monde. Par Roz nous visitons ari-me et son fonctionnement singulier, espèce d’expérimentation politique horizontale d’outre-espace assistée par IA. Quelques flashbacks bien dosés vers des instants clés nous montrent aussi comment l’existence des bots a été rendue possible. Ces passages dessinent une évolution qui n’est pas particulièrement originale, mais complètement pertinente. Saul Pandelakis vise juste en interrogeant la nouveauté technologique et sa supposée neutralité, ou comment ses conditions d’invention, de mise au point, peuvent déterminer son usage futur.
La Séquence Aardtman m’a rappelé les histoires de Catherine Dufour, pour ses passages empreints de musicalité et pour ses dimensions politiques qui ont notamment pu m’évoquer certaines nouvelles de L’arithmétique terrible de la misère. J’ai aussi beaucoup pensé à Becky Chambers, pour la vie à l’intérieur du vaisseau ari-me, pour ses merveilleux protagonistes, leurs questionnements quant à leurs identités et ce face-à-face, ce dialogue, entre une espèce humaine déclinante et des consciences nouvelles qui ne cessent de découvrir leur potentiel. Foisonnant d’idées, superbement écrit et paradoxalement non dépourvu d’optimisme, La Séquence Aardtman se paye en plus le luxe d’offrir une histoire réussie et des personnages très attachants. J’ai terminé ce roman il y a plusieurs semaines, je l’ai trouvé formidable et j’y pense encore souvent.
Sortie (français) : 2021