
L’année passée, Catherine Dufour a sorti l’incroyable Au bal des absents, mais pas seulement. En effet, l’autrice française a également fait paraître L’Arithmétique terrible de la misère, son second recueil de nouvelles. Celui-ci en contient dix-sept, aux sujets variés, mais toutes réunies par une tonalité énervée et politique. La nouvelle presque éponyme (L’arithmétique de la misère), par exemple, anticipe les futures crises climatiques en nous offrant, malgré, tout un motif d’espoir dans la révolte. Quant à En noir et blanc, et en silence, elle reprend le vieux thème de la vie éternelle pour parler de dominations (masculine, de classe…). Dans l’ensemble du recueil, la technologie est bien présente, souvent importante, mais elle finit généralement par s’effacer derrière les personnages ou le contexte socio-politique. L’avenir décrit y est sombre, mais pas toujours désespéré. A chaque fois, le propos est acéré.
Certaines nouvelles sont tout de même particulièrement cyniques, comme Pâles-mâles, qui dépeint notre monde du travail à peine aggravé, ou la très juridique (et drôle) Une fatwa de mousse de tramway. WeSiP m’a rappelé Normal (de Warren Ellis) et ses prospectivistes en burnout, tandis que Bobbidi-Boo avance brillamment masqué. Bien sûr, tout n’est pas forcément éblouissant : Tate Moon (très contemplatif) et La Mer monte dans la gamelle du chat m’ont peut-être un peu échappées. Mais d’autres encore sont touchantes, voire déchirantes, en particulier Enemy Isinme (tristement géniale) et, dans une moindre mesure, Sans retour et sans nous (qui, en plus de serrer le cœur, réussit à être rigolote). Et comment, évidemment, ne pas me réjouir à la lecture de Sensations en sous-sol, qui nous offre un retour dans l’univers d’Outrage et rébellion ?
L’ouvrage est parsemé d’encarts (Glamourissime !) qui rappellent nommément une invention de Ken Liu, mais salie, dévoyée, comme la publicité sait si bien faire avec ce qui est beau. Oreille amère est un peu dans la même veine, quand il s’agit de récupérer des pratiques innocentes à des fins dégueulasses. Le volet science-fictionnel du recueil s’achève avec deux nouvelles penchant vers le polar, dans lesquelles les dominations de genre sont inversées, pour un résultat très intéressant : Un temps chaud et lourd comme une paire de seins (bizarrement déjà présente dans l’Accroissement mathématique du plaisir, recueil précédent de l’autrice), suivi de La tête raclant la lune.
Enfin, il y a les appendices, hors de la science-fiction : La vie sexuelle d’Alfred de M., une courte biographie dans laquelle Musset en prend pour son grade, et Coucou les filles !, précédé d’un disclaimer bienvenu. Cette nouvelle mériterait un billet à elle-seule, tellement l’exercice de réponse à American Psycho (de Bret Easton Ellis), agit comme un révélateur. Ce livre, je me souviens très bien l’avoir lu, trouvé perturbant à plus d’un titre, puis rangé dans ma bibliothèque sans plus y penser. Catherine Dufour nous invite au contraire à y repenser un grand coup, dans un texte insoutenable mais nécessaire. C’est très bien vu.