Le Hygialogues de Ty Petersen - couverture

Saul Pandelakis m’a mis une grande claque avec son premier roman La séquence Aardtman. J’ai donc accueilli l’arrivée du deuxième - Les Hygialogues de Ty Petersen - avec une certaine attente. L’ouvrage tel qu’édité par les Éditions Goater est en réalité composé d’un roman court (éponyme), d’une nouvelle (Suntown), d’un petit essai sur le concept de “guichet” dans la SF et d’une interview de l’auteur. Mais d’abord, un point Wikipédia, qui nous dit ceci à propos de l’hygiaphone :

“L’Hygiaphone est un dispositif de séparation doté d’une surface transparente et d’un mécanisme permettant l’échange de biens entre personnes. […] Le système réside dans la mise en place d’une membrane vibrante amplifiant le son et apportant le confort de communication attendu par les agents tout en les protégeant contre la projection de microbes.”

En ce qui me concerne, j’ignorais que cela avait un nom.

Les Hygialogues de Ty Petersen explore ainsi le dialogue au long cours entre une humaine - Ty, Française vivant à New York - et un extraterrestre humanoïde - Akarnasasari, enfermé avec son équipage dans le vaisseau qui l’a amené en plein dans Central Park. Cela rappelle un peu District 9 en nettement moins désespéré et violent, sans body horror ni exosquelette chelou. Ou Arrival sans poulpes de 5 mètres de haut. Ty et Akarnasasari peuvent se voir, se parler et même se passer des objets, mais uniquement à travers le strict dispositif de l’hygiaphone qui joue un rôle d’interface, de contrainte.

Dialogue en sunduz, en trois colonnes : d'abord en graphie sunđuz, puis sous forme latinisée, puis en français

Comme souvent en science-fiction, il est ici question d’altérité, de communication et de langage. Attardons-nous un peu sur le langage, vu que Saul Pandelakis (qui précise ne pas être linguiste) a été jusqu’à en inventer un (typographie et alphabet compris). Le sunđuz, que Ty s’efforce d’apprendre, est la langue parlée par Akarnasasari. Elle est rendue très visible par le choix de la montrer sous trois formes : dans sa graphie “d’origine”, dans sa forme latinisée et enfin traduite en français. A noter que l’anglais n’est pas traité différemment : une intervention prononcée en anglais est d’abord montrée telle quelle puis traduite vers le français.

Les personnages de Saul Pandelakis sont plein de questionnements et de fragilités. Ty vit son rêve new-yorkais, mais se remet difficilement d’une rupture et a du mal à accepter le dispositif technico-administratif complexe qui se place entre elle et son interlocuteur. D’Andre, protagoniste de Suntown également présent dans Les Hygialogues, est une force tranquille qui semble sur le point de vaciller. Akarnasasari vient carrément d’un autre monde et fait ce qu’il peut (il aime parler français et on se doute qu’il ne vit pas très bien son enfermement).

Je suis frappé par la densité des Hygialogues et de Suntown, qui abordent tant de sujets en si peu de pages, jouent avec la forme et ne sont jamais prétentieux. L’essai et l’interview qui suivent les fictions nous confirment, si besoin était, que Saul Pandelakis a souhaité prendre à contre-pied un certain nombre de poncifs en adoptant une approche résolument queer. Ces deux parties ne sont pas forcément indispensables, mais elles apportent un point de vue complémentaire sur les récits tels que conçus par l’auteur. Quelques pages détaillant la conception du sunđuz sont même présents en toute fin de livre pour les acharné.e.s. C’est un bien bel ouvrage qui ouvre beaucoup de portes et le fait bien.

Sortie : 2023