OVNI 78 - couverture

Ce serait dommage de ne pas dire un mot d’OVNI 78, que j’ai lu cet été et qui sera certainement mon livre de l’année.

En trame de fond, il y a les années de plomb : une période violente et complexe de l’histoire politique et sociale italienne, dans la foulée de mai 68, marquée par de nombreux attentats (plutôt ciblés du côté de l’extrême gauche, plutôt de masse du côté de l’extrême droite, mais je m’en voudrais un peu de résumer une telle période historique en deux lignes lapidaires). L’essentiel de l’intrigue se déroule en 1978 durant les 55 jours de l’enlèvement d’Aldo Moro, figure importante de la démocratie chrétienne italienne. Sa séquestration par les Brigades Rouges, au terme de laquelle il sera assassiné, plane comme un vaisseau mère extraterrestre sur tout le récit.

Cette intrigue commence pourtant par une simple disparition : celle de deux jeunes scouts dans un massif montagneux du nord de l’Italie, où des observations d’ovnis ont par ailleurs été signalées. Qui dit observations d’ovnis, dit généralement ufologues et autres scrutateurs du paranormal. Et ça tombe bien, car une des trois protagonistes du livre, la sociologue Milena, effectue justement son étude de terrain parmi des ufologues du coin. Qu’ils soient rigoureux dans leurs analyses ou au contraire du genre “enthousiastes”, sans compter ceux qui ne demandent rien d’autre que de se défoncer en regardant les étoiles, elle tâche de saisir ce qui motive ces hommes (car ce sont tous des hommes) dans la poursuite de leur passion. Elle nous livre au passage ses réflexions et quand on est pris, comme moi, d’une affection déviante pour le folklore ovnis/conspirationniste, c’est captivant.

Le livre comprend deux autres protagonistes. Zanka, un écrivain rendu célèbre pour ses écrits ésotériques, mais aussi communiste contrarié et ancien maquisard (la seconde guerre mondiale et Mussolini ne sont pas si loin), est pris de doutes quant à la qualité de sa production littéraire et en vient à s’intéresser à cette histoire de disparition de scouts. Quant à son fils Vincenzo, il tente de se défaire de ses addictions au sein d’une communauté autogérée qui vit ses premiers balbutiements, entre mysticisme et voisinage peu réceptif.

Ce qui pourrait n’être qu’un agglomérat indigeste d’éléments épars se révèle être un ensemble cohérent et passionnant, que j’ai dévoré avec un appétit rare. Le collectif d’écrivains italiens Wu Ming y mélange le vrai (l’époque violente, l’enlèvement d’Aldo Moro, l’atmosphère culturelle du moment,…) et le faux (comme certains lieux qui n’existent simplement pas) pour construire son intrigue et dépeindre avec acuité les tenants d’une période qu’ils connaissent manifestement très bien. Que certains personnages mélomanes y partagent leur passion pour le krautrock, et autres expérimentations sonores de l’époque, ne gâche rien. Un livre nourrissant.

Titre original : Ufo 78 / Sortie originale (italien) : 2022 / Version française : 2024 (traduction : Serge Quadruppani_)_