
Je conserve de très bons souvenirs de Vurt et de Pollen, livres de l’Anglais Jeff Noon sortis respectivement en 1993 et 1995. Ces lectures datant d’une petite dizaine d’années, je les mélange probablement un peu. Elles font néanmoins surgir des souvenirs d’une ville de Manchester hallucinée, de prises de drogues étranges et de récits à la fois fascinants et difficiles à suivre. Ainsi, quand j’ai entendu parler d’Un homme d’ombres, paru en français aux éditions La Volte en 2021, mon intérêt s’est réveillé.
La promesse : un mélange de polar et de new weird (littéralement traduit par “nouveau bizarre”, il s’agit d’un genre apparenté à l’imaginaire, qui nous emmène généralement dans une ville étrange pleine d’éléments surréalistes ou fantastiques, en gros). J’ai une relation contrariée avec le new weird, genre que j’aimerais beaucoup adorer, mais dont j’ai apparemment du mal à appréhender la relative difficulté d’accès. J’ai évoqué ici il y a un an ma perplexité vis-à-vis de Vorrh, mais je conserve également un douloureux souvenir de ma lecture de Perdido Street Station, monument du genre que j’avais interrompu à la moitié. En gros je suis un peu vexé de ne pas pouvoir clamer haut et fort mon amour pour le bizarre. Pour autant, il est indéniable que ces oeuvres laissent une trace dans l’esprit des lecteurs et lectrices qui s’y frottent.
Du new weird, Un homme d’ombres reprend ici une série de caractéristiques : une ville aux limites floues, régies par des règles très spécifiques et dont certains habitants sont, au mieux, inquiétants. La ville, c’est Soliade, dont la particularité est d’être artificiellement hors du temps. Une moitié baignée dans un jour perpétuel, l’autre plongée dans une nuit sans fin. Au milieu, un Crépuscule abandonné, dans lequel on ne s’aventure qu’à ses risques et périls. Privée volontairement du cycle jour/nuit, Soliade offre ainsi la possibilité de choisir sa propre chronologie, sa propre mesure du temps. Résultat, des millions d’horloges et de montres, permettant à toutes et tous de découper le temps à sa façon, sautant parfois d’une chronologie à l’autre jusqu’à en développer d’inévitables pathologies. Et que fait-on des chronologies le plus efficaces et certifiées sans danger ? On les vend, forcément.
Le polar, maintenant. John Nyquist est détective privé. Solitaire, sans le sou, malheureux, accro à la boisson, incapable de rester fixé bien longtemps sur une chronologie : le parfait cliché du détective en perdition. Evidemment, un contrat va bouleverser sa vie. Missionné pour retrouver une ado en fugue, sa quête va l’emmener dans des recoins bien peu reluisants de la cité et, bien sûr, de sa propre psyché. Bref, des poncifs plutôt bien utilisés : on sent qu’il s’agit surtout de prétextes, d’une façon de jouer avec des codes pour les plonger dans un univers pour le coup vraiment original. Malheureusement pour moi, une fois encore, je ne peux pas prétendre avoir été totalement ébloui. Le flou entretenu autour de la nature exacte de Soliade (ville ? région ? pays ?) est probablement volontaire vu le genre, mais oh combien agaçant pour mon cerveau assoiffé de clarté. Sentiment mitigé donc, mais positif pourtant, car je n’échappe une fois encore pas à cette impression d’avoir momentanément habité cet univers bizarre.
Sortie originale (anglais) : 2017 / Version française : 2021 (traduction : Marie Surgers)