
Un moine est envoyé par son roi aux confins d’un empire lointain et menaçant, avec pour mission d’ouvrir un dialogue, d’observer et de raconter. Au cours de son voyage, il traverse de vastes plaines gelées, découvre un monde qui lui est inconnu et une culture complètement différente, non sans pester constamment contre son très peu fiable interprète. Voilà une histoire qu’on imaginerait bien sous forme de trilogie au rayon fantasy de la bibliothèque du coin. Sauf que là, il y a un hic : l’histoire est vraie et se passe dans notre XIIIème siècle. Entre 1253 et 1255, le moine franciscain Guillaume de Rubrouck a en effet voyagé jusque Qaraqorum, à l’époque capitale de l’Empire Mongol, avant de raconter son périple dans une lettre envoyée au roi de France Louis IX. C’est déjà quelque chose de peu commun, mais si cette histoire sort de l’ordinaire, c’est surtout grâce à la personnalité de son auteur.
Comme le vidéaste Herodot’com le raconte très bien dans cette vidéo (par laquelle j’ai découvert l’existence du bouquin), rares sont les chroniqueurs de l’époque à avoir mis tant d’eux-mêmes dans leurs écrits. Factuel, Guillaume de Rubrouck décrit méticuleusement les pratiques qu’il découvre (même quand il les réprouve, en moine franciscain très catholique qu’il est), mais ce n’est pas tout : il s’étonne, s’agace et nous raconte ses états d’âmes, rendant ce voyage de deux ans très vivant. Il y a vraiment quelque chose de fascinant à se dire que ce moine médiéval a réussi à me transmettre tant d’images à travers presque huit siècles. Coup de chapeau aussi, bien sûr, au couple de traducteurs René et Claire Kappler, pour leur travail qu’on imagine très conséquent. Le livre dont il est question ici comprend la traduction la plus récente de cette lettre (rédigée initialement en latin), mais aussi une introduction, une postface et une multitude de notes de toutes sortes portant tant sur le contexte historique que sur les choix de traduction. Evidemment, ces nombreuses notes rendent la lecture moins évidente que celle d’un roman (sauf si vous êtes fan de David Foster Wallace, mais on s’éloigne du sujet) et nécessitent donc une certaine concentration. Pour autant, il n’est vraiment pas nécessaire d’être expert en histoire médiévale pour en apprécier la lecture et se laisser jusqu’à la cour de l’Empereur Möngke en compagnie de Guillaume de Rubrouck.