Annihilation - Jeff VanderMeer

Mes expériences avec la weird fiction n’ont pas toujours été de franches réussites. Pour m’attaquer à Jeff VanderMeer (qu’on pourrait qualifier de pape du genre), je me suis dit que commencer par ce petit roman d’un peu plus de 200 pages serait une bonne idée. Alors oui, je n’ai tenu qu’une demi-heure devant l’adaptation d’Annihilation par Netflix, mais c’est davantage la frousse qui m’a fait renoncer, plutôt qu’une quelconque opinion sur le film. Une bonne occasion de vérifier que je supporte mieux l’horreur dans un bouquin que devant un écran. Résumons donc : une zone étrange, comme coupée du monde, a fait irruption quelque part aux Etats-Unis. Depuis cette apparition, les autorités y envoient régulièrement des expéditions afin d’en apprendre plus sur ce qu’elle contient. C’est une biologiste, membre d’une équipe exclusivement composée de femmes, qui nous raconte cette histoire. Elle revient sur son expérience dans la zone, dès les premiers pas à l’intérieur, et nous révèle aussi une partie de son passé. ...

08.04.2023

La Justice de l'ancillaire - Ann Leckie

Dans ma quête apparente de lire l’entièreté des prix Hugo (du meilleur roman) de la décennie 2010, voici le millésime 2014 : La Justice de l’ancillaire, premier tome de la trilogie des Chroniques du Radch, par Ann Leckie. A part le fait qu’on y retrouve quelques poncifs du space opera, comme un vaste empire galactique et des consciences artificielles, une de ses principales particularités est l’impossibilité d’y connaître avec certitude le genre des personnages (tout simplement car, dans cet univers, cela n’a généralement pas d’importance). Et ça, c’est très intéressant. Pourtant, au cours de ma lecture, j’ai beaucoup pesté sur des choix grammaticaux flous (que je mets sur le compte de la traduction, sans pouvoir en être sûr à 100%), créant un inconfort qui semblait pourtant évitable. Ce n’est bien sûr pas l’incertitude de genre qui m’a gêné, plutôt la façon dont elle est retranscrite. Face à des problématiques semblables, les décisions grammaticales prises par exemple dans Terra Ignota d’Ada Palmer ou After® d’Auriane Velten m’ont paru plus évidents. Les choix opérés ici me laissent donc perplexes, toutefois je salue la tentative de retranscrire la confusion ressentie par le, ou la, protagoniste, lorsqu’il s’agit de manier les pronoms. Si le résultat ne paraît pas optimal, l’impression créée semble, bizarrement, presque voulue. ...

02.04.2023

La Porte des Enfers - Laurent Gaudé

Il y a longtemps que je lorgnais sur Laurent Gaudé, non pas en raison de ses prix littéraires, mais parce que c’est le frère d’Ivan, l’estimé cofondateur du magazine Canard PC. Lorsque la journaliste Julie Le Baron (nouvelle rédactrice en chef - bravo - du magazine en question) a dit le plus grand bien de La Porte des Enfers, je me suis dit que je commencerais par celui-là, intrigué que j’étais par son côté fantastique et surtout parce qu’il en fallait bien un. Cette histoire commence en 2002 à Naples par la vengeance de Pippo, mort - attention - en 1980 à six ans lors d’une fusillade. Il n’est pas vraiment nécessaire d’en révéler davantage, tout comme il est déconseillé de lire la quatrième de couverture (de l’édition poche Acte Sud en tout cas) qui vous révèlera les deux tiers du roman. L’histoire alterne donc entre 1980, où nous suivons les parents de Pippo en proie au deuil, et 2002, où un Pippo bien vivant en a gros sur la patate. Pourquoi ? Comment ? Plus que cette question bien légitime, il s’agit ici de ressentir la peine, la peur et le dégoût, mais aussi, dans un autre registre, les ruelles encombrées de Naples, l’odeur du café et l’inéluctabilité de la mort. A l’instar des personnages de ce livre, on y cherche des étincelles de vie dans un océan de crasse et de désespoir : l’enfer, ici, est à prendre au sens propre comme au sens figuré. Et comme souvent, on trouvera des lueurs dans les marges. Ce n’est pas un roman très rigolo, par contre il se lit rapidement. ...

05.03.2023

Dernière nuit à Montréal - Emily St. John Mandel

L’an passé, j’ai découvert la Canadienne Emily St. John Mandel via son dernier roman paru en français, L’hôtel de verre, que j’ai adoré. C’est donc moins de six mois plus tard que je me suis attaqué à son premier livre, Dernière nuit à Montréal. Là encore, il s’agit d’une sorte de polar. En fait, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer plusieurs similitudes entre les deux œuvres, à commencer par une certaine obsession pour le verre et la présence éventuelle du fantastique, qui pourrait tout aussi bien relever de la folie de l’un ou l’autre personnage. L’histoire, ici, se concentre sur Lilia, jeune femme qui a soudainement quitté l’appartement dans lequel elle vivait depuis peu avec Eli, son compagnon, qui se met ainsi en quête de la retrouver. De Lilia, nous en apprenons davantage au fur et à mesure de la lecture via des flash-backs, en commençant par son enlèvement lorsqu’elle avait sept ans. L’intrigue enchaîne donc entre le passé d’une Lilia perpétuellement en fuite à travers les Etats-Unis et le présent d’un Eli de plus en plus égaré, selon un rythme qui donne l’impression d’un étau se resserrant progressivement autour du dénouement. ...

11.02.2023

Trames - Iain M. Banks

Note du Noni de 2025 : j’ai remanié le début de ce billet paru initialement dans l’enthousiasme de la sortie de ChatGPT et qui a rapidement beaucoup trop mal vieilli à mon goût. Quand on s’attaque à Trames et qu’on le compare aux sept bouquins du cycle de la Culture parus auparavant, il y a quelque chose qui frappe d’emblée : son épaisseur. Mais avant d’aller plus loin, je vais me faciliter la vie en laissant à Wikipedia le soin d’expliquer ce qu’est la Culture : “La Culture est une civilisation pan-galactique inventée par Iain Banks au travers de ses romans et nouvelles de science-fiction. […] Il s’agit d’une société anarchiste : ni loi, ni hiérarchie, ni argent, ni propriété. Elle compte trente mille milliards de citoyens, mêlant dans une totale égalité humains, extraterrestres, drones et intelligences artificielles. La Culture est une société post-pénurie vivant une économie de l’abondance : ses techniques de pointe offrent une richesse matérielle pratiquement illimitée et le confort à tous, gratuitement, et elle a quasiment supprimé la notion de biens.” ...

29.01.2023

Mexican Gothic - Silvia Moreno-Garcia

Mexican Gothic est un roman que j’ai offert à ma maman car j’en avais entendu beaucoup de bien et que rien de tel qu’un bon livre d’horreur pour raffermir les liens familiaux. Pas de chance : l’ouvrage n’a pas plu. Défait d’avoir causé l’ennui, je me suis procuré l’objet du crime pour l’inspecter de plus près, même s’il ne s’agit pas vraiment de mon genre de prédilection. Son autrice, la Mexicaine Silvia Moreno-Garcia, y déroule une histoire entre le fantastique et l’horreur dans les années 1950. Noémi, une jeune femme de Mexico, reçoit un appel à l’aide de sa cousine Catalina sous la forme d’une lettre bizarrement rédigée, et se voit dans l’obligation d’aller lui rendre visite pour s’assurer de sa bonne santé, notamment mentale. Destination : un manoir isolé à flanc de montagne, où Catalina vit avec son mari et la famille de ce dernier. ...

21.01.2023

Un homme d'ombres - Jeff Noon

Je conserve de très bons souvenirs de Vurt et de Pollen, livres de l’Anglais Jeff Noon sortis respectivement en 1993 et 1995. Ces lectures datant d’une petite dizaine d’années, je les mélange probablement un peu. Elles font néanmoins surgir des souvenirs d’une ville de Manchester hallucinée, de prises de drogues étranges et de récits à la fois fascinants et difficiles à suivre. Ainsi, quand j’ai entendu parler d’Un homme d’ombres, paru en français aux éditions La Volte en 2021, mon intérêt s’est réveillé. La promesse : un mélange de polar et de new weird (littéralement traduit par “nouveau bizarre”, il s’agit d’un genre apparenté à l’imaginaire, qui nous emmène généralement dans une ville étrange pleine d’éléments surréalistes ou fantastiques, en gros). J’ai une relation contrariée avec le new weird, genre que j’aimerais beaucoup adorer, mais dont j’ai apparemment du mal à appréhender la relative difficulté d’accès. J’ai évoqué ici il y a un an ma perplexité vis-à-vis de Vorrh, mais je conserve également un douloureux souvenir de ma lecture de Perdido Street Station, monument du genre que j’avais interrompu à la moitié. En gros je suis un peu vexé de ne pas pouvoir clamer haut et fort mon amour pour le bizarre. Pour autant, il est indéniable que ces oeuvres laissent une trace dans l’esprit des lecteurs et lectrices qui s’y frottent. ...

16.12.2022

Terra Ignota, la fin - Ada Palmer

Quand L’alphabet des créateurs est sorti, en février de cette année, je me suis méfié. Comment !? Le Bélial, éditeur français du livre, avait le culot de couper à travers Perhaps the stars, l’ultime tome de Terra Ignota, immense saga d’Ada Palmer dont j’attendais la fin avec impatience ? Scandale. J’ai ainsi préféré attendre octobre et la sortie de Peut-être les étoiles, qui conclut la saga en français, pour d’enchaîner goulument les deux tomes d’une traite. Au moment de m’y mettre, deux constats se sont imposés à moi. Le premier : vu le poids des deux livres cumulés, couper au milieu du livre original n’était probablement pas une si mauvaise idée. Je peux même dire a posteriori que l’endroit même de la coupure est plutôt bien vu et semble presque relever de l’évidence. Le second : je suis très content, mais aussi déstabilisé. Même si le tome précédent ne laissait que peu de doute sur la situation à venir, l’entame de cette conclusion nous laisse un peu perdu.e.s. Il faut dire que dès le début de la saga, en partant d’une technologie si bêtement science-fictionnesque qu’elle en paraît presque déplacée ici (la voiture volante), Ada Palmer nous avait présenté un système mondial passionnant et en apparence parfait, quasiment utopique, pour progressivement nous en dévoiler les failles par la voix d’un narrateur au demeurant assez peu fiable. L’alphabet des créateurs et Peut-être les étoiles s’attachent à nous montrer ce qu’il advient quand ce système craque pour de bon. Quant au narrateur… ...

27.11.2022

La troisième griffe de Dieu - Adam-Troy Castro

En relisant ma chronique d’Emissaire des morts, premier tome de la série Andrea Cort, j’ai réalisé que j’avais omis de mentionner une notion importante : celle du malaise. La troisième griffe de Dieu m’a en effet rappelé avec insistance ce subtil mélange de dégoût, de tension et d’angoisse, qui en caractérisait certains passages. Ce second tome, composé cette fois d’un roman et d’une nouvelle qui pourrait en être l’épilogue, prend toujours place dans un univers de space-opera composé de multiples espèces, dans lequel les humains sont réunis en une espèce de Confédération instable apparenté à un enfer ultra-capitaliste. Andrea Cort, la protagoniste, est enquêtrice, plus spécialement Procureure du Corps Diplomatique, et extrêmement douée dans son métier. Elle est également haïe par des millions de personnes pour des actes pas totalement éclaircis commis dans son enfance. Cela lui donne un caractère peu enclin à la jovialité et à la chaleur humaine. ...

18.09.2022

L'hôtel de verre - Emily St. John Mandel

J’ai principalement lu de l’imaginaire cet été, mais mon coup de cœur de la saison a finalement de bonnes chances d’être plus proche du thriller. Il s’agit en effet de L’hôtel de verre, roman de la canadienne Emily Saint-John Mandel. De peur d’en révéler des éléments importants, je me bornerai à indiquer que la protagoniste de cette histoire, Vincent, y connaît un parcours cahoteux et que le prologue du bouquin fait peu de mystère sur son destin funeste. Sa vie est marquée par la rencontre d’un homme richissime, dont on réalise rapidement que le compte en banque n’est pas tout à fait propre. La rencontre en question a lieu en soirée, dans un hôtel isolé du monde, alors qu’une inscription sibylline et menaçante (« Et si vous avaliez du verre brisé ? ») inscrite en grand sur les fenêtres vient gâcher la quiétude de la clientèle. Qui en est l’auteur ? Qui vise-t-elle ? C’est évidemment intéressant, mais je me suis surpris à en oublier complètement cet événement, tellement le contexte plus large, celui de la fin des années 2000, et le destin des personnages de cette histoire m’a passionné. L’autrice sait accélérer le rythme et créer des situations de tension très efficaces, mais aussi se poser et rendre le récit quasiment contemplatif. Sorte de polar, avec ce que ça comporte de message politique (en rapport avec le sujet principal du livre, que j’élude volontairement ici), ce roman est aussi empreint d’une forme d’étrangeté qui n’exclut pas totalement le genre fantastique. Quand on sait que l’autrice a connu le succès avec un roman post-apocalyptique (Station Eleven) se déroulant apparemment dans le même univers, l’impression s’en voit renforcée et me donne surtout très envie d’en lire d’autres. ...

03.09.2022