Un souvenir nommé empire - Arkady Martine

Attention, prix Hugo. En 2020, l’autrice new-yorkaise Arkady Martine a remporté le prestigieux prix de science-fiction pour Un souvenir nommé empire, premier tome de la série Teixcalaan (succédant ainsi au Vers les étoiles de Mary Robinette Kowal). Ce beau bébé de 459 pages semble a priori aborder des sujets que les amateurs de space opera connaissent bien, à commencer par le mot “empire” écrit en très gros sur la couverture. Il s’agit du puissant empire Teixcalaan, auprès duquel la protagoniste Mahit Dzmare est nommée ambassadrice. Son prédécesseur donné pour mort, elle va devoir comprendre ce qui lui est arrivé, et pour cela de naviguer dans les arcanes d’un pouvoir très codifié, dont la vie culturelle et politique tourne autour… de la poésie. Amoureuse de cette civilisation depuis son enfance, tout semble pourtant fait pour lui rappeler qu’elle y est étrangère : elle bénéficie heureusement du soutien de son attachée culturelle Trois Posidonie (un personnage particulièrement réussi), avec laquelle elle noue rapidement un lien fort. ...

17.02.2022

Spectres de ma vie - Mark Fisher

Le hasard a voulu qu’après la dystopie 84K, de Claire North, racontant le cauchemar d’un Royaume-Uni privatisé jusqu’à l’os, je me plonge dans Spectres de ma vie, du philosophe britannique Mark Fisher, également connu sous le nom de k-punk. Or il m’est impossible de ne pas voir de liens entre les deux ouvrages, comme si j’avais inconsciemment voulu continuer à me saper le moral. Sous-titré Écrits sur la dépression, l’hantologie et la futurs perdus, je me doutais pourtant que ce recueil de textes n’allait pas être un grand moment de rigolade. Qu’on ne s’y méprenne pas : j’ai trouvé ça passionnant. Par contre, il m’a plongé dans un état entre l’obsession et le désespoir. Je ne peux d’ailleurs pas prétendre avoir tout compris et serais bien incapable d’en retranscrire ici le propos, de peur de le trahir. Se contenter de dire qu’il s’agit d’un ouvrage foncièrement anticapitaliste ne nous emmène malheureusement pas très loin, mais c’est un début. ...

26.01.2022

84K - Claire North

Depuis quelques temps, j’ai tendance à éviter les dystopies. Il est pourtant difficile d’y échapper longtemps lorsqu’on s’intéresse à l’imaginaire, et je me suis finalement retrouvé en train de commencer 84K, de Claire North, sorti l’an passé en français. Ce n’est pas comme si j’avais été pris par surprise : avec un tel nom, ce roman convoque l’inévitable 1984 de George Orwell. On le sait, ce classique traitait des peurs de la fin des années 1940, à commencer par celle du totalitarisme. Sept décennies plus tard, le monde a bien changé, les peurs aussi. Claire North choisit ici de s’attaquer au capitalisme forcené, dans un Royaume-Uni pas si lointain qui aurait simplement achevé de privatiser l’ensemble des pans de sa société, y compris la justice. Dans 1984, l’Etat est partout, dans 84K, il a presque entièrement disparu. Là où, dans 1984, le protagoniste est un fonctionnaire insipide du “Ministère de la Vérité”, ici, il s’agit d’un employé transparent du “Bureau d’Audit des Crimes”. Son job : calculer les indemnités dues par les criminels. Un système simple : vous avez l’argent, vous remboursez votre dette à la société et à vous la liberté. Vous ne l’avez pas ? Alors c’est plus compliqué. ...

23.01.2022

Voyage dans l'Empire Mongol - Guillaume de Rubrouck

Un moine est envoyé par son roi aux confins d’un empire lointain et menaçant, avec pour mission d’ouvrir un dialogue, d’observer et de raconter. Au cours de son voyage, il traverse de vastes plaines gelées, découvre un monde qui lui est inconnu et une culture complètement différente, non sans pester constamment contre son très peu fiable interprète. Voilà une histoire qu’on imaginerait bien sous forme de trilogie au rayon fantasy de la bibliothèque du coin. Sauf que là, il y a un hic : l’histoire est vraie et se passe dans notre XIIIème siècle. Entre 1253 et 1255, le moine franciscain Guillaume de Rubrouck a en effet voyagé jusque Qaraqorum, à l’époque capitale de l’Empire Mongol, avant de raconter son périple dans une lettre envoyée au roi de France Louis IX. C’est déjà quelque chose de peu commun, mais si cette histoire sort de l’ordinaire, c’est surtout grâce à la personnalité de son auteur. ...

18.01.2022

Expiration - Ted Chiang

J’ai achevé 2021 avec Expiration, un recueil de nouvelles de Ted Chiang (auteur américain déjà évoqué sur ce blog, ici) sorti en 2020. Aborder d’un coup les neuf nouvelles qui composent le recueil serait peut-être indigeste, alors picorons. Prenons Le Cycle de vie des objets logiciels, par exemple, qui raconte l’apprentissage au long cours d’intelligences artificielles auxquels leurs concepteurs finissent par s’attacher. Même si elle aborde des sujets très intéressants, notamment les problèmes spécifiques posés par la nature même de ces IA, cette nouvelle (la plus longue du recueil) aurait peut-être gagnée a être un peu raccourcie. La Vérité du fait, la vérité de l’émotion, elle, se concentre sur la notion de mémoire et établit un parallèle entre la pratique de l’écriture et l’invention d’un hypothétique appareil, sorte de mini-caméra, qui filmerait l’entièreté de nos vies et externaliserait ainsi nos souvenirs. Un enjeu à la fois simple et vertigineux, abordé en quelques pages avec beaucoup de réussite. On retrouve des sensations semblables dans L’angoisse est le vertige de la liberté. L’auteur invente ici un objet quasiment magique, le “prisme”, qui à chaque utilisation crée une réalité parallèle. Dans un tel monde, chacun peut contacter des “sois” qui auraient pris d’autres décisions, et ainsi constater la direction que leur vie aurait pris. Une perspective plus horrifiante qu’enthousiasmante, qui entraîne évidemment un tas de problèmes passionnants. C’est probablement ma nouvelle préférée du lot, en cela qu’elle aborde la difficulté de faire des choix et s’attarde sur la notion de culpabilité. Elle est d’ailleurs à rapprocher de Ce qu’on attend de nous, autre nouvelle présente ici, qui se concentre sur la notion de libre-arbitre et choisit un angle peut-être encore plus dérangeant. ...

08.01.2022

Le sens du vent - Iain M. Banks

Pour aborder Le sens du vent, je vais procéder en deux étapes. La première : décrire le cycle de la Culture, écrit par l’auteur écossais Iain M. Banks, et la Culture elle-même. Composé de neuf romans et d’un recueil de nouvelles, on peut déjà commencer par dire qu’il s’agit de science-fiction. L’ensemble peut a priori (a priori parce que je n’en ai lu que sept à ce jour) se lire dans n’importe quel ordre, mais je suis personnellement très content d’avoir commencé il y a cinq ans par L’homme des jeux, qui correspond au premier tome en parution française. Chaque histoire est donc indépendante et ses personnages différents. Le contexte, par contre, ne change pas. C’est là que je tente d’expliquer ce qu’est la Culture : une civilisation humaine (au moins en partie) étendue à travers la galaxie, disposant de ressources illimitées (où le concept de pénurie n’est plus qu’un lointain souvenir), qui se définit comme anarchiste, pacifiste et hédoniste. Enfin, si les humains y sont innombrables, ils ont globalement laissé les rênes de leurs joyeux destins aux Mentaux, des IA qui dirigent leurs planètes, leurs vaisseaux et leurs stations orbitales, avec sagacité, humour et, parfois, mesquinerie. Or rien de tout cela n’est foncièrement un enjeu. Les romans du cycle veulent nous parler d’autre chose. Si la Culture nage dans la paix, l’opulence et le bonheur, on ne peut en effet pas en dire autant de toutes les civilisations extra-terrestres qu’elle côtoie et qui, parfois, tentent de s’y frotter. Ainsi, elle ne peut s’empêcher d’essayer de manipuler son environnement direct, pour son bien (évidemment). A cette fin, elle s’est dotée d’un service diplomatique, “Contact”, dans lequel se trouve un service plus obscur, les “Circonstances Spéciales”, acteur récurrent du cycle. ...

18.12.2021

L'Effondrement de l'empire - John Scalzi

Pour oublier le retour de l’hiver, des pandémies et du fascisme, rien ne me fait plus de bien qu’un bon space opera, un genre que j’ai d’ailleurs outrageusement snobé cette année. Heureusement, je n’ai eu qu’à piocher dans ma liseuse remplie de bouquins achetés compulsivement lors des confinements pour en sortir L’Effondrement de l’empire, de John Scalzi (un auteur déjà évoqué ici cet été, pour son roman parodique Redshirts). Ce livre, paru en 2017 en anglais, n’est que le premier tome de la trilogie de L’Interdépendance, dont l’entièreté est déjà sortie et traduite en français (par Mikael Cabon). Son titre fait peu de mystère quant à son contenu : alors qu’une nouvelle impératrice - pardon, emperox - monte sur le trône d’un empire millénaire, il s’avère rapidement qu’elle va surtout avoir à gérer sa désagrégation imminente. Jusqu’ici, rien de bien surprenant : un empire en perdition, ce n’est pas comme si c’était nouveau en science-fiction. Pourtant, malgré ce manque d’originalité manifeste, on s’amuse vraiment bien. ...

08.12.2021

Vernon Subutex 3 - Virginie Despentes

J’avais beaucoup aimé le premier tome et adoré le second, mais j’ai attendu quatre ans pour me lancer dans le troisième Vernon Subutex. L’intrigue commencée dans le premier tome y avance vers son dénouement, mais s’agissant d’une suite à peu près directe je n’en dirai évidemment pas trop sur son contenu. De toute façon, nous y suivons toujours Vernon et son groupe hétéroclite (de la SDF endurcie au trader cocaïnomane) dans leurs expérimentations sociales et musicales. Chaque chapitre s’attarde d’ailleurs sur un personnage différent, avec son propre point de vue sur les événements en cours. Crédibles, tantôt attachants tantôt infâmes, ces derniers font tout le sel de l’histoire. A ce propos, Virginie Despentes a eu la bonne idée d’introduire son livre par une brève présentation de chaque protagoniste : une initiative fort bienvenue qui m’a permis de me remettre en selle sans trop de casse. ...

28.11.2021

Vorrh - Brian Catling

Attiré par sa réputation de roman génial, j’ai choisi ce mois de novembre aussi chargé que nuageux pour m’attaquer à Vorrh, publié en 2012 en anglais, puis traduit en français en 2019. Ce n’était peut-être pas le meilleur moment de me confronter à un livre d’une telle densité, mais qu’importe. Ecrit par l’Anglais Brian Catling, également sculpteur et poète, il s’agit là d’un roman plutôt difficile d’accès, peuplé par une quantité de personnages complexes et, il faut bien le dire, rarement sympathiques. Certains revêtent un caractère mythologique (un cyclope), d’autres sont plutôt des personnalités historiques (un écrivain français, un photographe britannique), d’autres encore se contentent de suivre leur chemin obscur en se fichant bien de notre avis et de nos questions. Sans rentrer dans les détails de l’histoire (certains l’ont déjà très bien fait), la Vorrh, forêt qui donne son nom au livre, en est le centre de gravité, et son voisinage contre-nature avec une ville nommée Essenwald (coucou la colonisation) est un des moteurs d’une intrigue aux ramifications parfois très éloignées les unes des autres, mais qui finissent toujours par s’entrecroiser. ...

21.11.2021

After®, Auriane Velten

Ce dimanche 1er novembre, After®, premier roman de la Française Auriane Velten, a reçu le prix Utopiales 2021. Il se trouve que je venais juste de le terminer : le hasard fait si bien les choses. Il s’agit d’un roman apparenté au post-apocalyptique, bien davantage orienté vers la réflexion et le dialogue que vers l’action et la survie. Bien longtemps après la “catastrophe”, un petit groupe d’humains vit au sein d’une petite société aux règles strictes et immuables, à commencer par l’égalité absolue de ses membres, desquels une profonde humilité est exigée. Un Dogme auquel chacun se soumet volontiers pour assurer la survie de l’espèce. Un jour, le Conseil décide d’envoyer deux personnes enquêter sur le passé de l’humanité. Deux personnes bien différentes : si Cami est avide de savoir, au risque de briser le Dogme, Paule s’assure au contraire de préserver son respect à tout prix. La première chose que l’on constate en ouvrant ce livre, c’est l’exercice de style : l’autrice pratique en effet une forme d’écriture inclusive, déroutante au début, mais à laquelle on s’habitue assez rapidement. Sur la forme, c’est donc intéressant et cohérent avec l’univers qui nous est présenté. Sur le fond, je suis un peu embêté. Ce n’est pas que la lecture m’ait été désagréable, au contraire : ça se lit bien, et comme il s’agit d’un récit plutôt court il est même assez efficace. Mais je crois qu’une certaine prévisibilité, peut-être même un sentiment de déjà-vu, ainsi que l’impression d’un univers esquissé davantage que développé (et d’ailleurs pourquoi pas), m’ont un peu laissé sur le côté. Question de goût ? Mauvais timing ? Tant pis pour moi. Il n’en reste pas moins que les amateurs et amatrices du genre ont manifestement toutes les chances d’apprécier. ...

03.11.2021