Viendra le temps du feu - Wendy Delorme

Avec ce roman sorti en mars de cette année, Wendy Delorme prend d’abord le temps d’installer un monde d’une noirceur d’encre : une dystopie fermée, étouffante et a priori sans espoir, qui rappelle par moments La servante écarlate de Margaret Atwood. Alors que nous faisons connaissance avec leur univers, les protagonistes évoquent des souvenirs d’un temps qui valait (encore) la peine d’être vécu, rendant le présent d’autant plus insupportable. La proximité avec ce qui agite notre époque est par ailleurs flagrante : l’autrice n’a fait que pousser quelques curseurs un peu plus loin et installé les forces conservatrices les plus crasses au pouvoir, sur fond d’effondrement climatique. Mais ce roman n’est pas que sinistre : il réserve en effet de superbes passages, emplis d’amour et de sensualité. Sa lecture est de plus facilitée par un découpage en courtes sections de quelques pages seulement, grâce auxquels nous passons sans arrêt d’une narratrice à une autre. Bien sûr, l’opportunité de se plonger dans une dystopie est peut-être discutable en ces temps compliqués. Toutefois, Viendra le temps du feu comporte, en son cœur même, une solide dose de résistance (notamment féministe et LGBT+), qui en fait tout l’intérêt, nous permet d’envisager l’utopie et de respirer alors que nous frôlons l’asphyxie. ...

07.04.2021

Vita Nostra - Marina & Sergueï Diatchenko

Vita Nostra appartient à cette catégorie de livres qui laissent une impression à part et, en ce qui me concerne, le besoin dévorant d’en discuter pour tenter (vainement) d’en épuiser le sujet. On y suit une jeune femme ukrainienne sur le point de commencer des études universitaires. Sauf que, pour une raison qui nous échappe, la voilà forcée de rejoindre un mystérieux institut dans une ville obscure. Quant à savoir ce qu’elle y apprendra, là se trouve une part de l’enjeu. Passé le premier contact cryptique et inquiétant avec ce nouvel établissement, commencent les pourquoi, les comment, les sentiments mêlés d’injustice, de révolte et de curiosité, et surtout cette obsession de continuer, fiévreusement, pour voir où diable cette histoire nous mène. Un bien étrange roman. ...

07.02.2021

Au bal des absents - Catherine Dufour

Claude, la quarantaine solitaire et sans le sou, se prépare à être expulsée de son appartement lorsqu’un mystérieux contact Linkedin lui propose un job bien payé dans une maison isolée à la campagne. Sa mission : enquêter sur la disparition d’une famille d’Américains. Au pied du mur, Claude accepte : quels choix lui reste-t-il de toute façon ? S’ensuit une histoire mêlant horreur (je n’étais pas prévenu), fantastique et social. Tout le sel d’Au bal des absents tient dans le comportement inattendu de sa protagoniste, personnage qui n’a de toute façon plus grand chose à perdre et dont on suit le parcours avec joie et inquiétude. Catherine Dufour canarde la réalité à travers ce roman fantastique-social enragé superbement écrit, et c’est génial (même si parfois ça fait peur). ...

29.11.2020

L’homme qui mit fin à l’histoire - Ken Liu

Ce petit roman est à part, court et pourtant particulièrement dense. L’auteur, Ken Liu (auteur de SF américain né en Chine), y décrit une intention nouvelle permettant de visiter le passé. Il ne s’agit pas de voyage dans le temps, plutôt d’un moyen de voir, sans interférer, un endroit précis à une époque donnée. Attention toutefois : cette observation n’est possible qu’une seule fois, et par une seule personne, avant de disparaître à tout jamais. L’invention est ici testée sur l’Unité 731, sinistre lieu d’expérimentations humaines de l’armée japonaise en Mandchourie, pendant la seconde guerre mondiale. Derrière cette invention purement imaginaire, il est donc ici question d’histoire et de mémoire collective, et de la façon dont des blessures anciennes continuent d’empoisonner le présent. Ce n’est pas très amusant, mais c’est vraiment brillant et complètement d’actualité. ...

22.08.2020

Trop semblable à l’éclair - Ada Palmer

Si la littérature de l’imaginaire permet beaucoup en matière de nouveaux horizons, il se dit en ce moment qu’elle pourrait gagner à moins se focaliser sur l’annihilation du monde pour s’intéresser davantage à des avenirs meilleurs (ça nous changerait). C’est là que débarque l’historienne Ada Palmer avec sa série Terra Ignota, dont le premier tome Trop semblable à l’éclair est sorti l’an passé en français. Bienvenue dans un 2454 aux allures d’utopie. Un monde en paix, où les déplacements sont faciles et dans lequel les nations, vieilles reliques inutiles, ont été remplacées par des “Ruches” que les citoyens rejoignent à leur convenance (pour ne citer qu’une des idées brillantes de ce récit). Le narrateur de cette histoire, un fascinant personnage, nous raconte pourtant les derniers jours de ce système, qu’on imagine pourtant si solide. Je pourrais en parler des heures : Trop semblable à l’éclair est superbement raconté et d’une richesse folle (tant d’un point de vue de l’écriture que de l’univers), mêlant philosophie, politique et une certaine dose de mysticisme. Et surtout, surtout, il renouvelle le genre en s’éloignant des poncifs de notre époque, en convoquant d’autres périodes de l’histoire et en nous invitant à penser des futurs possibles. En cela, c’est ce que la science-fiction peut offrir de meilleur. ...

20.08.2020

Normal - Warren Ellis

Je ne sais pas vraiment si ce petit roman entre dans le domaine de la science-fiction, mais je peux au moins le qualifier sans hésiter de tordu. Normal se déroule dans une sorte d’hôpital réservé aux veilleurs stratégiques et autres prospectivistes. Ces derniers sont en effet hautement susceptibles de perdre les pédales, à force de tenter de prévoir l’avenir dans leur domaine de compétences. Pour les calmer et les préparer à retourner affronter le monde, on les envoie donc là. Nous y suivons un pensionnaire fraîchement accueilli, isolé de l’extérieur au même titre que ses nouveaux congénères (dans cet institut, une simple connexion internet est un bien précieux). Ensemble, nous découvrons un environnement forcément un peu spécial, dont l’étrangeté croît brusquement lorsqu’un patient disparaît, remplacé dans sa cellule par un gros tas d’insectes. Enlèvement ? Evasion ? Conspiration ? Mystère. C’est en tout cas la dose de folie qu’il me fallait lorsque je m’y suis plongé. ...

19.08.2020

Honoré et moi - Titiou Lecoq

Au rayon des livres qui font du bien, voici de façon surprenante une biographie de… Balzac. Comme beaucoup j’imagine, j’ai découvert cet auteur du XIXème siècle par une lecture imposée en secondaire. J’avais écopé du Colonel Chabert, une lecture éprouvante qui, pour longtemps, m’a donné de ce cher Honoré de Balzac l’image d’un vieux monsieur aussi poussiéreux qu’ennuyeux. Titiou Lecoq, par contre, a développé pour Honoré une véritable passion, qu’elle s’applique ici à nous partager avec grand enthousiasme. On y découvre un véritable personnage de roman, attachant autant qu’agaçant, doux mégalo décidé coûte que coûte à vivre au dessus des moyens qu’il dilapide tant qu’il peut. Ça se lit comme du bonbon. ...

18.08.2020