Evaristo Carriego - Jorge Luis Borges

Vu ses pages toutes brunies par les années, j’ai dû trouver ce petit livre il y a dix ou quinze ans dans une bouquinerie, pour ne jamais l’ouvrir jusqu’à cette année. De Borges, je connaissais déjà L’Aleph et Fictions, deux recueils de nouvelles étranges, tirant vers le fantastique, l’imaginaire ou l’expérimental, parus dans les années 1940. Une de celles qui m’a le plus marqué est probablement Pierre Ménard, auteur du Quichotte dans lequel l’auteur argentin esquisse une biographie pleine d’érudition d’un auteur français des années 1930 qui n’a jamais existé. Tout ça pour dire que cet Evaristo Carriego, dont ce livre est une espèce de courte biographie, j’ai d’abord vérifié qu’il avait vraiment vécu. Surprise : c’est bien le cas, c’était même un ami du père de Borges. Malgré tout, le doute subsiste. Difficile en effet de savoir si tout cela est vraiment fiable, si le poète décrit par l’auteur existe ailleurs que dans sa tête. Et en fait on s’en fiche, on se laisse porter. Borges est une sorte de magicien, qui parvient à m’intéresser à des sujets dont je me fiche au minimum poliment. La poésie sud-américaine, par exemple, qui à la base n’est pas mon truc : quand Borges en parle je suis fasciné. Quant à sa reconstruction des faubourgs de Buenos Aires à la fin du XIXème siècle, un point géo-historique qui ne me concerne pourtant que fort peu, je m’y suis senti à la maison, arpentant les rues, attentif à l’évocation des sonorités de guitare. ...

01.07.2023

J'ai vu les soucoupes - Sandrine Kerion

L’an dernier, je me suis jeté sur une BD autobiographique qu’il m’était impossible de laisser passer : J’ai vu les soucoupes, de Sandrine Kerion. L’autrice y raconte son adolescence au début des années 90’ et son obsession pour certaines théories du complot en vogue à l’époque. Elle nous raconte son histoire, la façon dont elle a progressivement sombré jusqu’à se persuader d’avoir vu des OVNI dans son quartier, tout en dressant un tableau complet et historique du phénomène. Si des facteurs personnels ont certainement pu jouer dans son parcours, notamment un environnement familial compliqué et du harcèlement scolaire hardcore, il est aussi question du rôle joué par la fiction (coucou Steven Spielberg) et, surtout, de médias français peu scrupuleux qui privilégient l’infotainment à la déontologie en invitant sur des plateaux de talk shows des personnalités dangereuses, pour s’en moquer certes, mais en leur donnant au passage une large visibilité. Mieux encore, Sandrine Kerion évoque les dérives sectaires qui peuvent découler du phénomène complotiste, mais également les liens entre certaines théories du complot encore bien vivaces et le racisme le plus crasse. Enfin, et c’est très important, l’autrice aborde la façon dont elle s’en est sortie. ...

05.02.2022

Spectres de ma vie - Mark Fisher

Le hasard a voulu qu’après la dystopie 84K, de Claire North, racontant le cauchemar d’un Royaume-Uni privatisé jusqu’à l’os, je me plonge dans Spectres de ma vie, du philosophe britannique Mark Fisher, également connu sous le nom de k-punk. Or il m’est impossible de ne pas voir de liens entre les deux ouvrages, comme si j’avais inconsciemment voulu continuer à me saper le moral. Sous-titré Écrits sur la dépression, l’hantologie et la futurs perdus, je me doutais pourtant que ce recueil de textes n’allait pas être un grand moment de rigolade. Qu’on ne s’y méprenne pas : j’ai trouvé ça passionnant. Par contre, il m’a plongé dans un état entre l’obsession et le désespoir. Je ne peux d’ailleurs pas prétendre avoir tout compris et serais bien incapable d’en retranscrire ici le propos, de peur de le trahir. Se contenter de dire qu’il s’agit d’un ouvrage foncièrement anticapitaliste ne nous emmène malheureusement pas très loin, mais c’est un début. ...

26.01.2022

Voyage dans l'Empire Mongol - Guillaume de Rubrouck

Un moine est envoyé par son roi aux confins d’un empire lointain et menaçant, avec pour mission d’ouvrir un dialogue, d’observer et de raconter. Au cours de son voyage, il traverse de vastes plaines gelées, découvre un monde qui lui est inconnu et une culture complètement différente, non sans pester constamment contre son très peu fiable interprète. Voilà une histoire qu’on imaginerait bien sous forme de trilogie au rayon fantasy de la bibliothèque du coin. Sauf que là, il y a un hic : l’histoire est vraie et se passe dans notre XIIIème siècle. Entre 1253 et 1255, le moine franciscain Guillaume de Rubrouck a en effet voyagé jusque Qaraqorum, à l’époque capitale de l’Empire Mongol, avant de raconter son périple dans une lettre envoyée au roi de France Louis IX. C’est déjà quelque chose de peu commun, mais si cette histoire sort de l’ordinaire, c’est surtout grâce à la personnalité de son auteur. ...

18.01.2022

Lectures favorites de 2021

Chaque fin d’année, j’aime bien réaliser un petit bilan de mes lectures préférées des douze mois précédents (leur année de sortie n’ayant aucune espèce d’importance). Du coup, si je devais ne retenir que trois livres lus en 2021, ce serait probablement ceux-ci : Tout d’abord, Un long voyage, par Claire Duvivier : un roman de fantasy qui en dit énormément avec une économie de moyens qui surprend. Loin du cliché de la saga en dix-sept épisodes kilométriques, c’est un vrai bonheur de lecture dans un univers d’une grande originalité. Plusieurs mois plus tard, il me laisse encore avec des images plein la tête et l’envie d’y retourner. Pour rester dans cet esprit, j’ai donc hâte, très hâte, de me lancer dans la double trilogie de La tour de garde, dont les deux premiers tomes (Citoyens de demain, par Claire Duvivier et Le sang de la cité, par Guillaume Chamanadjian) sont sortis cette année avec un succès certain. ...

31.12.2021

Lectures de juillet-août

Au cours de ces deux derniers mois, j’ai lu quelques bouquins et je suis même retourné en bibliothèque, où je n’avais pas mis les pieds depuis trop longtemps. L’occasion de remarquer que les rayons, notamment en matière d’imaginaire, ont été bien renouvelés. En plus de quatre précédents billets déjà rédigés ici, voici un petit bilan de mes lectures de cet été brumeux. J’avais bien vu passer Les Tambours du dieu noir, sorti cette année en français, chez divers chroniqueurs et chroniqueuses de l’imaginaire, mais je n’avais pas vraiment idée de son contenu. On y trouve en réalité deux courts récits. Le premier, qui donne son nom au livre, se déroule à La Nouvelle-Orléans dans un XIXème siècle alternatif et un tantinet magique. L’enjeu n’y est autre que la survie de ce territoire libre et indépendant, régulièrement assailli de tempêtes démentielles, tandis que l’esclavage est toujours une réalité sur une partie de ce qui fut les Etats-Unis. Le second récit (L’étrange affaire du djinn du Caire), lui, se déroule au Caire au début du XXème siècle : là encore, uchronie et fantastique vont de pair, et nous quittons l’aventure pour un récit plus policier. Les qualités du livre sont réelles (qu’il s’agisse des points de vue proposés, du propos ou des univers déployés), mais je dois bien avouer avoir eu la tête ailleurs pendant la majorité de la lecture. Dommage pour moi. ...

02.09.2021

Please Kill Me - Legs McNeil, Gillian McCain

Voilà une bible bien particulière, un pavé mythique que j’ai - enfin - terminé : Please Kill Me: L’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, de Gillian McCain et Legs McNeil, recueil d’entretiens réunissant un tas d’acteur et d’actrices (quoique beaucoup moins) du mouvement punk. J’en ressors avec une vague sensation de dégoût fort à propos, et une question médicale : comment Iggy Pop peut-il être toujours parmi nous aujourd’hui ? Plus globalement, il y a comme un paradoxe dans le fait que de telles œuvres aient pu émerger du marasme glauque décrit dans ce livre. Au-delà du contenu, c’est son style qui en fait clairement un document à part. Chaque intervention, ultra subjective par nature, ne donne qu’un éclairage partiel sur la situation, parfois contredisant le précédent et renforçant encore cette impression de chaos et de flou. Personne, d’ailleurs, n’est vraiment sympathique dans cette histoire, et pas grand chose ne nous est épargné. Il y est finalement assez peu question de musique, mais plutôt des parcours chaotiques de personnalités plus ou moins paumées, perchées, politisées, hargneuses ou cyniques. Mais quelque chose émerge de cette impression d’assister à un défilé de soirées moisies, de plans foireux, de blackouts, d’agressions et de morts violentes. J’ai en effet appris et ressenti pas mal de trucs à la lecture de ce bouquin qui, de par ses témoignages, dit beaucoup de la condition sociale de celles et ceux qui peuplent ses pages, et sur son époque. ...

21.07.2021

Bilan de mai

En ce mois de mai, synonyme de retour timide à une forme de vie sociale entre deux averses de grêle, j’ai enfin terminé la trilogie des Livres de la Terre fracturée (pour en dire beaucoup de bien ici). En prime, la lecture m’a emmené voyager loin dans l’espace, ainsi qu’au Japon. Difficile de dire lequel était le plus dépaysant des deux. Commençons par L’incivilité des fantômes, le premier roman de Rivers Solomon. Paru en français en 2019, on y embarque dans un vaste vaisseau spatial dans lequel vit une partie de l’humanité (ou ce qu’il en reste). La société qu’on y découvre est profondément raciste : les Noirs, réduits en esclavage, y travaillent aux tâches les plus difficiles et avilissantes tout en subissant la violence quotidienne des Blancs. Aster, très compétente en botanique et en médecine, cherche par ailleurs à y décrypter les écrits de sa mère défunte. Elle peut notamment compter sur son imprévisible amie Giselle, ainsi que sur un personnage à la fois critique et proche du pouvoir, Théo. Tant ses difficultés de communication (le mot autisme n’est jamais écrit, mais on le devine) que des traumatismes passés - et présents - pèsent sur Aster, mais ne l’empêchent pas d’oeuvrer à sa façon contre un pouvoir de plus en plus en oppresseur. Ce roman est peut-être plus intéressant pour le développement de ses personnages et leurs relations complexes que pour son intrigue, mais n’en reste pas moins très réussi. ...

04.06.2021

Des livres qui ont compté

Regarder High Fidelity (la série adaptée l’année dernière du roman de Nick Hornby), m’a donné envie, outre d’écouter plein de musique, de faire une liste : une liste de livres qui ont occupé une place spéciale à un moment de ma petite existence et qui comptent donc encore d’une façon ou d’une autre. C’est évidemment complètement arbitraire, mais l’exercice de mémoire est amusant. Alors, selon l’expression consacrée, c’est parti pour le top 5 des livres qui ont compté un jour dans ma vie. Haute Fidélité - Nick Hornby (1995) J’ai 19 ans, aucune confiance en moi et je joue dans ce groupe de rock avec mes amis. Un jour on obtient ce plan impensable : on va enregistrer dans un studio. Juste avant de partir enregistrer à Liège - dans un studio ! -, je reçois ce petit bouquin coloré avec un vinyle sur la couverture : “ça devrait te plaire”. Un coup dans le mille, effectivement. A l’époque je vis aussi ma première vraie relation amoureuse, et c’est peu dire que ce roman qui cause de musique, d’amour et de lose, est tombé au bon moment. Usé comme il est, je l’ai probablement lu et relu plusieurs fois. ...

24.04.2021

Lectures favorites de 2020

C’est l’heure des bouquins de l’année ! Je me suis imposé d’en choisir dix (en trichant juste un peu) et les ai classés arbitrairement pour le plaisir. 1. “Trop semblable à l’éclair”, par Ada Palmer (2016) et “Sept redditions”, par Ada Palmer (2017) : double prix de l’amour inconditionnel pour les deux premiers tomes de la saga Terra Ignota, d’une inventivité folle et qui m’ont transportés comme rarement en cette année où c’était plutôt nécessaire. 2. “Au bal des absents”, par Catherine Dufour (2020) : un roman que je qualifierais de fantastique social enragé. C’est génial. 3. “Mémoire de fille”, par Annie Ernaux (2016) : un exercice de mémoire frappant de justesse, rempli de réflexions sur le processus et le sens de l’écriture autobiographique. ...

28.12.2020