La mer de la tranquillité - Emily St. John Mandel

Avec son titre évoquant les étendues lunaires et sa promesse d’anomalies temporelles, La mer de la tranquillité voit Emily St. John Mandel creuser le genre de la science-fiction en abordant (ce n’est pas une immense révélation de le dire) la question du voyage dans le temps. Dans chaque précédent roman de l’autrice, j’ai vu une raison de jouer, de chercher les bizarreries et les points communs avec d’autres de ses livres. Celui-ci ne fait pas exception à la règle. ...

09.08.2025

Le Livre des comptes - Martin Mongin

Comment aborder ce machin ? C’est la question que je me pose au moment de commencer cette note. Le Livre des comptes débute de façon un peu claustrophobique : un homme amnésique, solidement enfermé dans une petite pièce confortable, est invité à lire en entier un roman nommé Le Livre des comptes, en échange de quoi il sera libéré. Ça m’a quelque peu inquiété quant aux 690 pages que contient ce beau bébé. Mais détrompons-nous, car il s’agit là d’une espèce de prologue d’une cinquantaine de pages. La suite nous amène à Versailles, où le Président de la République et sa cour (ministres, grands patrons, hauts fonctionnaires…) célèbrent avec faste leur grand oeuvre consistant à tout faire pour que la moindre parcelle du pays soit consacrée à la seule valeur qui soit : le travail. Alors qu’un grand événement se prépare, un type un peu étrange erre, désoeuvré (scandale !), dans les jardins du château. ...

26.07.2025

Notules (4)

En matière de méchas, mon expérience se limite à Pacific Rim au cinéma et à de vagues souvenirs de Goldorak quand j’étais tout petit. Tout le contraire de Denis Colombi, qui connaît ses classiques et qui est aussi sociologue, raisons pour lesquelles ce tout petit roman (moins de 100 pages) a attiré mon attention. Au coeur des Méchas est écrit sous la forme du témoignage d’une mécano, qui nous raconte ce que ça fait de bosser à bord de ces géants de tôles conçus pour repousser des monstres extra-terrestres dans des batailles titanesques, mais anonymement, à l’ombre des pilotes célébrés en héros. L’envers du décor, en somme, et les questionnements qui vont avec. Un petit bouquin très malin qui se lit à peu près d’une traite en mêlant habilement réflexion sociale et grosses tatanes sur des monstres de l’espace. ...

20.07.2025

Notules (3)

J’habite dans une région où les béguinages de manquent pas. Pourtant, j’ai toujours eu une image floue des communautés de béguines, peinant à les distinguer des moniales. Si La nuit des béguines m’a appris quelque chose, c’est bien le statut très particulier de ces femmes et surtout la liberté étonnante dont elles bénéficiaient. L’histoire de ce roman nous amène au début du XIVème siècle, alors que leur statut se voit remis en question sur fond de diffusion d’idées jugées hérétiques par l’Eglise (et qui préfigurent déjà la Réforme du siècle suivant). Si le style d’écriture ne m’a pas transporté, le fond et la reconstitution historique du Paris médiéval m’ont bien davantage plu. Comme me l’a signalé Maghily, quelques notes de bas de page pour préciser certains éléments auraient pu être les bienvenues et on peut regretter certaines facilités scénaristiques. Cela reste malgré tout un roman historique très intéressant. ...

06.07.2025

La Sonate Hydrogène - Iain M. Banks

Le dernier tome de la Culture est sorti en 2012, soit vingt-cinq ans après ses débuts et un an avant le décès prématuré de son auteur Iain M. Banks. J’ai picoré le cycle, dont les onze livres (dix romans et un recueil de nouvelles) peuvent se lire indépendamment les uns des autres, sur un peu moins d’une décennie. Et puis voilà. J’ai pris mon temps, mais me voilà au bout de ce space-opera d’espionnage à tendance anarchiste. On y retrouve la galaxie à laquelle nous sommes habitués : grouillante d’espèces et de civilisations qui se côtoient avec plus ou moins de bonheur. Parmi elles, la Culture, une vaste société aussi pacifique que puissante. Il y a déjà bien longtemps que sa direction a été laissée aux Mentaux, les intelligences artificielles des gigantesques vaisseaux et autres habitats spatiaux qui abritent l’essentiel de sa population. ...

21.06.2025

Notules (2)

Prodigieuses créatures nous amène au début du XIXème siècle sur la côte anglaise. Rédigé par l’autrice américaine Tracy Chevalier, c’est un récit qui alterne les points de vue de Mary Anning et d’Elizabeth Philpot. La première est une jeune ouvrière qui restera célèbre pour la découverte des premiers fossiles d’ichtyosaures et de plésiosaures, la seconde deviendra son amie grâce à leur passion commune pour la géologie et les créatures anciennes. Pourtant issues de mondes différents, elles font front face à des hommes prompts à s’approprier leur travail, en particulier celui de la très talentueuse Mary dont les exploits ne tardent pas à se répandre. Très bien documentée, en abordant notamment les problématiques de classes sociales et de religion, cette histoire donne une bonne idée des bouleversements que ces découvertes ont pu causer dans la société de l’époque. Le texte ne manque d’ailleurs pas de souligner à quel point les femmes y ont pris une part active sans voir leurs noms apparaître dans les musées. ...

07.06.2025

Les Hygialogues de Ty Petersen - Saul Pandelakis

Saul Pandelakis m’a mis une grande claque avec son premier roman La séquence Aardtman. J’ai donc accueilli l’arrivée du deuxième - Les Hygialogues de Ty Petersen - avec une certaine attente. L’ouvrage tel qu’édité par les Éditions Goater est en réalité composé d’un roman court (éponyme), d’une nouvelle (Suntown), d’un petit essai sur le concept de “guichet” dans la SF et d’une interview de l’auteur. Mais d’abord, un point Wikipédia, qui nous dit ceci à propos de l’hygiaphone : “L’Hygiaphone est un dispositif de séparation doté d’une surface transparente et d’un mécanisme permettant l’échange de biens entre personnes. […] Le système réside dans la mise en place d’une membrane vibrante amplifiant le son et apportant le confort de communication attendu par les agents tout en les protégeant contre la projection de microbes.” ...

16.05.2025

Derniers jours d'un monde oublié - Chris Vuklisevic

Le monde oublié dont il est ici question est une île. Isolée au milieu de l’océan depuis un cataclysme survenu il y a trois siècles, Sheltel abrite une population convaincue d’être seule au monde. A sa tête, quelques personnages-clés détiennent un pouvoir que personne ne conteste. Afin d’éviter la consanguinité, le registre des naissances, des morts et des mariages est fermement tenu par la Main, la sorcière qui donne et reprend la vie. Pour le bien commun, les magiciens qui ne peuvent être utiles au système sont enfermés et leurs pouvoirs contenus. Les choses pourraient rester ainsi pour des siècles et des siècles si ce n’était ce navire pirate au loin, manifestation inattendue d’un monde extérieur qu’on croyait disparu pour toujours. ...

27.04.2025

Notules (1)

C’est le titre de Moi, Jean Gabin qui a d’abord attiré mon attention. Cette autobiographie raconte l’enfance mouvementée de Goliarda Sapienza vers la fin des années 1930 dans un quartier populaire de Catane, en Sicile. Elle y mène une vie bien remplie, moins par l’école que par ses rêves de liberté et de justice incarnés par Jean Gabin (acteur ou personnages, peu importe) dont chaque sortie de film est un événement quasiment sacré. A treize ou quatorze ans, elle aborde son quotidien avec une intensité qui rend la lecture très attendrissante. Pour autant, on devine une toile de fond marquée par la violence (avez-vous entendu parler du fascisme ?) et un environnement familial très politisé (avez-vous entendu parler de l’antifascisme ?). Même si j’ai sans doute manqué tout un tas de références aux films de l’époque (dont je ne sais à peu près rien), j’ai beaucoup aimé cette lecture. Il faut dire que l’écriture, à tout le moins sa traduction, est superbe. ...

10.04.2025

Proletkult - Wu Ming

Ce qui frappe d’emblée, c’est que nous avons ici affaire à un titre un peu mystérieux. Commençons donc par un peu de contexte autour du terme “Proletkult” en citant un article paru en 2017 dans Campus, le magazine scientifique de l’Université de Genève (et dont le numéro complet est consultable ici) : […] en octobre 1917 [apparaît] une organisation artistique et littéraire méconnue et éphémère mais qui connaît un succès populaire fulgurant : la Culture prolétarienne, ou Proletkult, selon l’acronyme russe. À son apogée, en 1920, le mouvement (qu’il ne faut pas confondre avec l’« art prolétarien » de l’époque stalinienne) revendique 400 000 membres, c’est-à-dire autant, voire plus, que le Parti communiste lui-même. Répartis en 300 sections locales, il édite une quarantaine de journaux et de revues. Il disparaît la même année, dénigré par une partie de l’élite bolchevique et intégré de force au Commissariat du peuple aux lumières (Ministère de l’éducation). ...

23.03.2025