Derniers jours d'un monde oublié - Chris Vuklisevic

Le monde oublié dont il est ici question est une île. Isolée au milieu de l’océan depuis un cataclysme survenu il y a trois siècles, Sheltel abrite une population convaincue d’être seule au monde. A sa tête, quelques personnages-clés détiennent un pouvoir que personne ne conteste. Afin d’éviter la consanguinité, le registre des naissances, des morts et des mariages est fermement tenu par la Main, la sorcière qui donne et reprend la vie. Pour le bien commun, les magiciens qui ne peuvent être utiles au système sont enfermés et leurs pouvoirs contenus. Les choses pourraient rester ainsi pour des siècles et des siècles si ce n’était ce navire pirate au loin, manifestation inattendue d’un monde extérieur qu’on croyait disparu pour toujours. ...

27.04.2025

Notules (1)

C’est le titre de Moi, Jean Gabin qui a d’abord attiré mon attention. Cette autobiographie raconte l’enfance mouvementée de Goliarda Sapienza vers la fin des années 1930 dans un quartier populaire de Catane, en Sicile. Elle y mène une vie bien remplie, moins par l’école que par ses rêves de liberté et de justice incarnés par Jean Gabin (acteur ou personnages, peu importe) dont chaque sortie de film est un événement quasiment sacré. A treize ou quatorze ans, elle aborde son quotidien avec une intensité qui rend la lecture très attendrissante. Pour autant, on devine une toile de fond marquée par la violence (avez-vous entendu parler du fascisme ?) et un environnement familial très politisé (avez-vous entendu parler de l’antifascisme ?). Même si j’ai sans doute manqué tout un tas de références aux films de l’époque (dont je ne sais à peu près rien), j’ai beaucoup aimé cette lecture. Il faut dire que l’écriture, à tout le moins sa traduction, est superbe. ...

10.04.2025

Proletkult - Wu Ming

Ce qui frappe d’emblée, c’est que nous avons ici affaire à un titre un peu mystérieux. Commençons donc par un peu de contexte autour du terme “Proletkult” en citant un article paru en 2017 dans Campus, le magazine scientifique de l’Université de Genève (et dont le numéro complet est consultable ici) : […] en octobre 1917 [apparaît] une organisation artistique et littéraire méconnue et éphémère mais qui connaît un succès populaire fulgurant : la Culture prolétarienne, ou Proletkult, selon l’acronyme russe. À son apogée, en 1920, le mouvement (qu’il ne faut pas confondre avec l’« art prolétarien » de l’époque stalinienne) revendique 400 000 membres, c’est-à-dire autant, voire plus, que le Parti communiste lui-même. Répartis en 300 sections locales, il édite une quarantaine de journaux et de revues. Il disparaît la même année, dénigré par une partie de l’élite bolchevique et intégré de force au Commissariat du peuple aux lumières (Ministère de l’éducation). ...

23.03.2025

Les Champs de la Lune - Catherine Dufour

Avec Les Champs de la Lune, Catherine Dufour revient à la science-fiction par le biais de l’agriculture. Et oui. El Jarnine est fermière : sous le dôme de la ferme Lalande (à la surface de la Lune) elle cultive de quoi nourrir la population d’une ville construite sous la surface. Elle transmets ses desiderata aux autorités par des rapports réguliers et est fort contrariée car on lui reproche l’aridité de ces derniers. Qu’à cela ne tienne, si c’est ainsi elle les rédigera plus joliment. Peut-être cela les incitera-t-il à l’écouter ? Entre la fissure dans son dôme qui grandit lentement et la drôle de plante qui envahit le paysage lunaire, il y a bien des motifs d’inquiétude. Et c’est sans compter la fièvre aspic, une épidémie qui fauche les gens sans motif apparent. ...

16.03.2025

Aliène - Phoebe Hadjimarkos Clarke

Quand j’ai entendu parler de ce livre, le deuxième roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke, ma curiosité a immédiatement été attisée. C’est l’histoire de Fauvel, une femme qui, la vie en vrac après avoir été éborgnée lors d’une manifestation, quitte temporairement la ville pour la campagne française. L’objectif : garder pendant quelques semaines la chienne du père d’une amie et profiter du calme environnant. Cette chienne, Hannah, est toutefois un peu spéciale : c’est une clone de Hannah (l’originale), dont le cadavre empaillé orne le salon. Si leurs physiques sont identiques, leurs caractères diffèrent. C’est en effet peu dire que Hannah (la clone) est très indépendante et volontiers menaçante. Comme si ça ne suffisait par pour troubler ce qui devait être une retraite paisible, les activités d’un troupeau de chasseurs dans les environs ne sont pas de nature à rassurer Fauvel. ...

07.03.2025

Top lectures de 2024

On dirait que 2024 a été l’année la plus prolifique en lectures de ma vie. Je ne m’explique pas vraiment pourquoi, par contre je peux revenir sur certaines qui sont particulièrement sorties du lot. L’extraordinaire OVNI 78, du collectif italien Wu Ming, surnage avec ses ufologues à l’affût d’observations paranormales, son exploration de la politique italienne des années 70 et sa plongée dans la contre-culture de l’époque. Et puis c’est pas tous les jours qu’un personnage de roman écoute du Magma. Ensuite, nous avons deux romans gothiques que je n’avais pas encore abordés par ici : Affinités, de Sarah Waters. Une jeune dame de la bonne société victorienne, en proie à une sorte de dépression, rend régulièrement visite à des femmes en prison pour écouter leurs déboires. Elle y tombe amoureuse d’une prisonnière qui se dit spirite et s’avère très convaincante. La narration est fine, l’ambiance gothico-londonienne est brumeuse à souhait et le jeu de pistes vraiment bien fichu. Pour rester dans le gothique, mais cette fois-ci sur un autre continent (l’autre là, un peu plus à l’ouest) : le classique de Shirley Jackson Nous avons toujours vécu au château, paru en 1962. Une famille décimée + un château isolé + des villageois haineux = une bonne ambiance. Deux autres romans cools et chelous : Les Monstres de Templeton, de Lauren Groff. Du fantastique (un peu) et de la généalogie (beaucoup). La Fracture, de Nina Allan. Une mystérieuse disparition et pas mal de bizarreries (dans le fond et dans la forme). Au rayon “imaginaire qui tache” : La Cité des Marches, de Robert Jackson Bennett. Le premier tome d’une trilogie fantasy. Il y est notamment question de colonialisme et du rapport des peuples à leur histoire. Ca se lit comme un bon roman d’espionnage, les dieux magiciens en plus. Station Eleven, d’Emily St. John Mandel. Une fin du monde vite fait bien fait, et comment s’en sortent les survivants (par exemple en jouant du Shakespeare). Dans la thématique “nazis” (car il faut bien vivre avec son temps) : La Compagnie des spectres, de Lydie Salvayre. Folie, précarité et résistance. C’est toujours un plaisir d’envoyer des tombereaux d’insultes au Maréchal et à ses collaborateurs. Nein, Nein, Nein!, de Jerry Stahl. L’auteur, écrivain juif américain, nous raconte son voyage organisé (en bus) à travers les camps de concentration et d’extermination nazis devenus des parcs d’attraction mémoriels. L’effarement est très présent et j’ai beaucoup ri (mais j’aime l’humour désespéré). Et deux BD : Happy Endings, de Lucie Bryon. Une formidable BD sortie cette année, d’une grande douceur. L’album est composé de trois histoires distinctes, dont le merveilleux Océan qui illustre la couverture. L’autrice continue sur sa lancée après un Voleuse qui était déjà super. La Distinction, de Typhaine Rivière. Une adaptation contemporaine du livre de Pierre Bourdieu, pilier de la sociologie, qui a le mérite d’être compréhensible et facile d’accès. Pour celles et ceux que la notion d’habitus intrigueraient et qui n’en ont pas eu assez avec la chaîne Youtube de Grégoire Simpson.

30.12.2024

La fracture - Nina Allan

De ma première lecture de Nina Allan, Le créateur de poupées, j’ai conservé une impression de malaise vivace et tenace. Comme je l’anticipais un peu à l’époque, ce roman a laissé une marque durable dans ma mémoire, ce qui est finalement tout ce qu’on lui demande et appelle d’autres expériences du même genre. Je suis donc retourné vers l’autrice britannique avec La fracture, qui se présente comme une histoire de disparition (spoiler : c’est plus compliqué que ça). En gros, une adolescente prénommée Julie disparaît en 1994. Son corps n’est jamais retrouvé et le cas demeure non élucidé (ce n’est pourtant pas faute d’avoir passé le lac des environs au peigne-fin, ce qui donne par ailleurs lieu à un effet stylistique savoureux). Une vingtaine d’années plus tard, alors que beaucoup d’eau a coulé sous les ponts, sa soeur Selena nous raconte comment une femme qui prétend être Julie reprend contact avec elle. ...

02.11.2024

OVNI 78 - Wu Ming

Ce serait dommage de ne pas dire un mot d’OVNI 78, que j’ai lu cet été et qui sera certainement mon livre de l’année. En trame de fond, il y a les années de plomb : une période violente et complexe de l’histoire politique et sociale italienne, dans la foulée de mai 68, marquée par de nombreux attentats (plutôt ciblés du côté de l’extrême gauche, plutôt de masse du côté de l’extrême droite, mais je m’en voudrais un peu de résumer une telle période historique en deux lignes lapidaires). L’essentiel de l’intrigue se déroule en 1978 durant les 55 jours de l’enlèvement d’Aldo Moro, figure importante de la démocratie chrétienne italienne. Sa séquestration par les Brigades Rouges, au terme de laquelle il sera assassiné, plane comme un vaisseau mère extraterrestre sur tout le récit. ...

06.10.2024

Les Variations Sebastian - Emily St. John Mandel

J’ai découvert Emily St. John Mandel il y a deux ans, avec L’hôtel de verre. Ébloui par cette rencontre, j’ai par la suite enchaîné avec ses romans les plus anciens (Une nuit à Montréal et On ne joue pas avec la mort) avant de passer directement à Station Eleven, son best-seller sorti en 2014. J’en avais zappé un : Les Variations Sebastian, sorti en 2012. Il s’agit de son troisième roman, qui s’inscrit dans la foulée des deux premiers sur un certain nombre de points, à commencer par la fuite, l’abandon et le lien des adultes à leurs enfants. En fait, on pourrait voir ces trois livres comme autant de points de vue autour des mêmes thèmes. Cette fois, c’est essentiellement en Floride que se situe l’action, dans la petite ville de Sebastian en pleine récession (nous sommes dans la foulée de la crise de 2008) et soumise à la lente et inquiétante invasion d’animaux exotiques tels que des varans ou des pythons. Le titre original du roman, The Lola Quartet, attire l’attention sur les protagonistes plutôt que sur le lieu : les quatre anciens membres d’un groupe de jazz de lycée, que nous retrouvons une dizaine d’années plus tard, pour constater que la vie ne leur a pas fait de cadeaux. L’intrigue, bien ficelée, tourne principalement autour de la question suivante : qu’est devenue Anna, l’ado qui gravitait autour de groupe et qui a subitement fichu le camp après le bal de promo ? ...

21.09.2024

Station Eleven - Emily St. John Mandel

J’ai repris mon rattrapage des romans d’Emily St. John Mandel. Cette fois-ci : Station Eleven., son best-seller, que j’ai entamé non sans une certaine appréhension. C’est qu’on attaque ici le genre post-apocalyptique, qui ne m’enthousiasme pas plus que ça. Le topo : dans un avenir proche, une sorte de grippe a éliminé 99% de la population humaine en quelques semaines, entraînant l’effondrement de toutes les infrastructures qui soutenaient la civilisation (des détails, comme l’électricité et l’eau courante). On peut reconnaître à cette maladie une forme d’honnêteté. Pas le temps de vous demander si ce petit rhume est un signe d’infection, si vous risquez de contaminer des proches par inadvertance - peut-être que devriez-vous faire un test ? - ou s’il faudrait vous isoler par prévention : si vous le chopez, vous êtes mort dans les deux jours, c’est tout. Mais laissons les épidémiologistes débattre de la plausibilité d’un tel scénario. ...

06.04.2024