La troisième griffe de Dieu - Adam-Troy Castro

En relisant ma chronique d’Emissaire des morts, premier tome de la série Andrea Cort, j’ai réalisé que j’avais omis de mentionner une notion importante : celle du malaise. La troisième griffe de Dieu m’a en effet rappelé avec insistance ce subtil mélange de dégoût, de tension et d’angoisse, qui en caractérisait certains passages. Ce second tome, composé cette fois d’un roman et d’une nouvelle qui pourrait en être l’épilogue, prend toujours place dans un univers de space-opera composé de multiples espèces, dans lequel les humains sont réunis en une espèce de Confédération instable apparenté à un enfer ultra-capitaliste. Andrea Cort, la protagoniste, est enquêtrice, plus spécialement Procureure du Corps Diplomatique, et extrêmement douée dans son métier. Elle est également haïe par des millions de personnes pour des actes pas totalement éclaircis commis dans son enfance. Cela lui donne un caractère peu enclin à la jovialité et à la chaleur humaine. ...

18.09.2022

Une désolation nommée paix - Arkady Martine

En panne d’écriture depuis plusieurs mois, j’ai également frisé le crash niveau lecture cet été. Pour relancer la machine, j’ai joué le tout pour le tout en sélectionnant Une désolation nommée paix, la suite de la série de space opera Teixcalaan, dont j’avais beaucoup aimé le premier tome en début d’année. Ce roman fait donc suite à Un souvenir nommé empire et nous y retrouvons ses protagonistes, à commencer par l’attachant duo composé de Mahit Dzmare, ambassadrice d’une obscure station spatiale, et de Trois Posidonie, fonctionnaire impériale aussi douée qu’ambitieuse. Là où le premier tome se déroulait au cœur même de l’empire, cette suite nous expédie à ses confins et aborde un sujet que j’affectionne beaucoup : le premier contact. Teixcalaan est en effet attaquée par une espèce alien puissante et inconnue. L’action se déroule ainsi en grande partie (mais pas uniquement) au sein de la puissante flotte teixcalaanlie. A sa tête, Neuf Hibiscus, chargée de mener cette guerre, est bientôt rejointe par Mahit Dzmare et Trois Posidonie, dans des circonstances qu’on pourrait presque qualifier de rocambolesques (mais je n’en dirai pas plus). S’il est bien question d’une guerre, avec son lot de drames, l’intrigue se concentre surtout sur la communication, la linguistique, la diplomatie ou encore l’éthique, non sans négliger les étonnantes technologies et les impitoyables luttes de pouvoir déjà de mises dans Un souvenir nommé empire. Le cocktail fonctionne et les pages se tournent au rythme des allers-retours que l’autrice, Arkady Martine, nous fait faire entre la lointaine capitale et la flotte de guerre impériale. Pour faire bref, j’ai pris un grand plaisir à lire ce livre, peut-être encore davantage que celui qui le précède. ...

24.08.2022

Citadins de demain - Claire Duvivier

C’est avec beaucoup d’impatience que j’ai entamé Citadins de demain, premier tome de la trilogie Capitale du Nord, écrit par Claire Duvivier. Ce premier opus se lit en parallèle du Sang de la cité, dont j’ai parlé ici-même, et qui entame lui la trilogie Capitale du Sud. Ensemble, ces deux séries composent l’étonnante saga de La tour de garde. Nous découvrons ici la cité de Dehaven, bien différente de sa cousine du sud Gemina. Peut-être est-ce dû à l’écriture limpide de Claire Duvivier, peut-être simplement à la conception de la ville elle-même : Cité-Etat commerciale, la richesse de Dehaven dépend de ses colonies insulaires. L’histoire se déroulant en parallèle du Sang de la cité, l’exercice de comparaison est inévitable. Dehaven semble ainsi plus ouverte sur le monde (dont elle tire profit) et davantage tournée vers l’avenir que Gemina. Plus austère, aussi. Leurs habitants, par contre, partagent une passion commune pour un jeu, la tour de garde, vague cousin des échecs. Enfin, les deux cités font face à des troubles sociaux et politiques qui mettent leur stabilité en péril. ...

08.05.2022

Le créateur de poupées - Nina Allan

D’habitude, j’écris sur un livre peu de temps après l’avoir terminé. Je fais ici exception car je me suis surpris à évoquer celui-ci récemment alors que la conversation virait bizarrement sur le sujet des poupées (la vie réserve parfois ce genre de surprises). Deux mois après sa lecture, Le créateur de poupées, de la britannique Nina Allan et conseillé par la Salle 101 (dont les nouvelles émissions se font attendre), continue semble-t-il de me hanter. Concepteur et collectionneur de poupées, Andrew entretient une correspondance avec Bramber Williams, que l’on devine résidente d’un hôpital psychiatrique. L’un comme l’autre partagent une passion commune pour Ewa Chaplin, rédactrice de nouvelles gothiques et, elle-aussi, créatrice de poupées. Personnage singulier de très petite taille (qui se qualifie lui-même de nain), Andrew se met soudain en tête d’aller retrouver sa bien-aimée Bramber sans la prévenir au préalable. Le roman nous raconte donc son cheminement de pensée, sa vie et son voyage en train de Londres vers une institution perdue au milieu de rien. A chaque étape de son périple, il en profite pour lire une des nouvelles d’Ewa Chaplin, qui parsèment le roman comme autant de mises en abyme. On alterne ainsi les pensées d’Andrew, sa correspondance avec Bramber, et les nouvelles écrites par cette artiste imaginaire. ...

18.04.2022

Le sang de la Cité - Guillaume Chamanadjian

La saga de La tour de garde est un projet ambitieux : non pas une simple, mais une double trilogie de fantasy, chacune centrée sur une ville. Le premier tome de Capitale du Sud, Le sang de la Cité, est sorti en avril 2021 et nous le devons à Guillaume Chamanadjian, dont c’est même le premier roman. Capitale du Nord, à lire en parallèle, est écrite par Claire Duvivier (autrice du magnifique Un long voyage) et son premier épisode est sorti en octobre dernier. Respectant sans raison particulière l’ordre chronologique des sorties, j’ai donc commencé par le Sud. Dans un univers ressemblant l’époque moderne, il est ici question de Gemina, vaste cité vivante et complexe, divisée en une multitude de Maisons, pleine de conflits politiques et de mystères décidément bien mystérieux. Nous la découvrons par les yeux de Nox, protégé du puissant Duc Servaint, mais surtout simple commis d’épicerie qui distribue bouteilles de vin, dont la population raffole, et autres délicatesses aux quatre coins de la ville. Servaint a toutefois d’autres projets pour Nox et profite de la dernière incartade de son imprévisible sœur jumelle, Daphné, pour lui donner un rôle qui va sensiblement compliquer son quotidien. ...

09.04.2022

J'ai vu les soucoupes - Sandrine Kerion

L’an dernier, je me suis jeté sur une BD autobiographique qu’il m’était impossible de laisser passer : J’ai vu les soucoupes, de Sandrine Kerion. L’autrice y raconte son adolescence au début des années 90’ et son obsession pour certaines théories du complot en vogue à l’époque. Elle nous raconte son histoire, la façon dont elle a progressivement sombré jusqu’à se persuader d’avoir vu des OVNI dans son quartier, tout en dressant un tableau complet et historique du phénomène. Si des facteurs personnels ont certainement pu jouer dans son parcours, notamment un environnement familial compliqué et du harcèlement scolaire hardcore, il est aussi question du rôle joué par la fiction (coucou Steven Spielberg) et, surtout, de médias français peu scrupuleux qui privilégient l’infotainment à la déontologie en invitant sur des plateaux de talk shows des personnalités dangereuses, pour s’en moquer certes, mais en leur donnant au passage une large visibilité. Mieux encore, Sandrine Kerion évoque les dérives sectaires qui peuvent découler du phénomène complotiste, mais également les liens entre certaines théories du complot encore bien vivaces et le racisme le plus crasse. Enfin, et c’est très important, l’autrice aborde la façon dont elle s’en est sortie. ...

05.02.2022

84K - Claire North

Depuis quelques temps, j’ai tendance à éviter les dystopies. Il est pourtant difficile d’y échapper longtemps lorsqu’on s’intéresse à l’imaginaire, et je me suis finalement retrouvé en train de commencer 84K, de Claire North, sorti l’an passé en français. Ce n’est pas comme si j’avais été pris par surprise : avec un tel nom, ce roman convoque l’inévitable 1984 de George Orwell. On le sait, ce classique traitait des peurs de la fin des années 1940, à commencer par celle du totalitarisme. Sept décennies plus tard, le monde a bien changé, les peurs aussi. Claire North choisit ici de s’attaquer au capitalisme forcené, dans un Royaume-Uni pas si lointain qui aurait simplement achevé de privatiser l’ensemble des pans de sa société, y compris la justice. Dans 1984, l’Etat est partout, dans 84K, il a presque entièrement disparu. Là où, dans 1984, le protagoniste est un fonctionnaire insipide du “Ministère de la Vérité”, ici, il s’agit d’un employé transparent du “Bureau d’Audit des Crimes”. Son job : calculer les indemnités dues par les criminels. Un système simple : vous avez l’argent, vous remboursez votre dette à la société et à vous la liberté. Vous ne l’avez pas ? Alors c’est plus compliqué. ...

23.01.2022

Lectures favorites de 2021

Chaque fin d’année, j’aime bien réaliser un petit bilan de mes lectures préférées des douze mois précédents (leur année de sortie n’ayant aucune espèce d’importance). Du coup, si je devais ne retenir que trois livres lus en 2021, ce serait probablement ceux-ci : Tout d’abord, Un long voyage, par Claire Duvivier : un roman de fantasy qui en dit énormément avec une économie de moyens qui surprend. Loin du cliché de la saga en dix-sept épisodes kilométriques, c’est un vrai bonheur de lecture dans un univers d’une grande originalité. Plusieurs mois plus tard, il me laisse encore avec des images plein la tête et l’envie d’y retourner. Pour rester dans cet esprit, j’ai donc hâte, très hâte, de me lancer dans la double trilogie de La tour de garde, dont les deux premiers tomes (Citoyens de demain, par Claire Duvivier et Le sang de la cité, par Guillaume Chamanadjian) sont sortis cette année avec un succès certain. ...

31.12.2021

Le sens du vent - Iain M. Banks

Pour aborder Le sens du vent, je vais procéder en deux étapes. La première : décrire le cycle de la Culture, écrit par l’auteur écossais Iain M. Banks, et la Culture elle-même. Composé de neuf romans et d’un recueil de nouvelles, on peut déjà commencer par dire qu’il s’agit de science-fiction. L’ensemble peut a priori (a priori parce que je n’en ai lu que sept à ce jour) se lire dans n’importe quel ordre, mais je suis personnellement très content d’avoir commencé il y a cinq ans par L’homme des jeux, qui correspond au premier tome en parution française. Chaque histoire est donc indépendante et ses personnages différents. Le contexte, par contre, ne change pas. C’est là que je tente d’expliquer ce qu’est la Culture : une civilisation humaine (au moins en partie) étendue à travers la galaxie, disposant de ressources illimitées (où le concept de pénurie n’est plus qu’un lointain souvenir), qui se définit comme anarchiste, pacifiste et hédoniste. Enfin, si les humains y sont innombrables, ils ont globalement laissé les rênes de leurs joyeux destins aux Mentaux, des IA qui dirigent leurs planètes, leurs vaisseaux et leurs stations orbitales, avec sagacité, humour et, parfois, mesquinerie. Or rien de tout cela n’est foncièrement un enjeu. Les romans du cycle veulent nous parler d’autre chose. Si la Culture nage dans la paix, l’opulence et le bonheur, on ne peut en effet pas en dire autant de toutes les civilisations extra-terrestres qu’elle côtoie et qui, parfois, tentent de s’y frotter. Ainsi, elle ne peut s’empêcher d’essayer de manipuler son environnement direct, pour son bien (évidemment). A cette fin, elle s’est dotée d’un service diplomatique, “Contact”, dans lequel se trouve un service plus obscur, les “Circonstances Spéciales”, acteur récurrent du cycle. ...

18.12.2021

L'Effondrement de l'empire - John Scalzi

Pour oublier le retour de l’hiver, des pandémies et du fascisme, rien ne me fait plus de bien qu’un bon space opera, un genre que j’ai d’ailleurs outrageusement snobé cette année. Heureusement, je n’ai eu qu’à piocher dans ma liseuse remplie de bouquins achetés compulsivement lors des confinements pour en sortir L’Effondrement de l’empire, de John Scalzi (un auteur déjà évoqué ici cet été, pour son roman parodique Redshirts). Ce livre, paru en 2017 en anglais, n’est que le premier tome de la trilogie de L’Interdépendance, dont l’entièreté est déjà sortie et traduite en français (par Mikael Cabon). Son titre fait peu de mystère quant à son contenu : alors qu’une nouvelle impératrice - pardon, emperox - monte sur le trône d’un empire millénaire, il s’avère rapidement qu’elle va surtout avoir à gérer sa désagrégation imminente. Jusqu’ici, rien de bien surprenant : un empire en perdition, ce n’est pas comme si c’était nouveau en science-fiction. Pourtant, malgré ce manque d’originalité manifeste, on s’amuse vraiment bien. ...

08.12.2021