Viendra le temps du feu - Wendy Delorme

Avec ce roman sorti en mars de cette année, Wendy Delorme prend d’abord le temps d’installer un monde d’une noirceur d’encre : une dystopie fermée, étouffante et a priori sans espoir, qui rappelle par moments La servante écarlate de Margaret Atwood. Alors que nous faisons connaissance avec leur univers, les protagonistes évoquent des souvenirs d’un temps qui valait (encore) la peine d’être vécu, rendant le présent d’autant plus insupportable. La proximité avec ce qui agite notre époque est par ailleurs flagrante : l’autrice n’a fait que pousser quelques curseurs un peu plus loin et installé les forces conservatrices les plus crasses au pouvoir, sur fond d’effondrement climatique. Mais ce roman n’est pas que sinistre : il réserve en effet de superbes passages, emplis d’amour et de sensualité. Sa lecture est de plus facilitée par un découpage en courtes sections de quelques pages seulement, grâce auxquels nous passons sans arrêt d’une narratrice à une autre. Bien sûr, l’opportunité de se plonger dans une dystopie est peut-être discutable en ces temps compliqués. Toutefois, Viendra le temps du feu comporte, en son cœur même, une solide dose de résistance (notamment féministe et LGBT+), qui en fait tout l’intérêt, nous permet d’envisager l’utopie et de respirer alors que nous frôlons l’asphyxie. ...

07.04.2021

Bilan de mars 2021

Littérairement parlant, c’est La volonté de se battre, troisième tome de la série Terra Ignota, qui m’a surtout occupé ce mois-ci. J’ai déjà évoqué ailleurs mon attachement tout particulier à cette série écrite par Ada Palmer, qui a réussi à construire un univers complexe et fascinant porté par une narration du même niveau. Trop semblable à l’éclair, premier tome de la série, m’a diverti du premier confinement ; Sept Redditions, sa suite, m’a sorti d’un été aux allures de drôle de guerre caniculaire. La volonté de se battre m’a-t-il fait oublier la montée de la troisième vague ? Et bien oui, merci. L’histoire avance, toujours portée par un narrateur dont on se demande tout de même parfois s’il ne joue pas volontairement avec nos pieds ou s’il n’est pas en train de complètement perdre les pédales. Ces facéties narratives nécessitent une véritable implication, mais sont pour moi un vrai plaisir. Qu’importe au fond si le narrateur est fou, j’ai envie de savoir ce qu’il veut me raconter et ce qu’il perçoit de son monde. Force est parfois d’admettre que quelques longueurs et flous artistiques peuvent rebuter les lecteurs et lectrices qui ne seraient pas d’emblée subjugués par l’univers décrit, mais ça ne m’empêchera pas de continuer à en parler à tout le monde avec des étoiles dans les yeux. ...

31.03.2021

Vita Nostra - Marina & Sergueï Diatchenko

Vita Nostra appartient à cette catégorie de livres qui laissent une impression à part et, en ce qui me concerne, le besoin dévorant d’en discuter pour tenter (vainement) d’en épuiser le sujet. On y suit une jeune femme ukrainienne sur le point de commencer des études universitaires. Sauf que, pour une raison qui nous échappe, la voilà forcée de rejoindre un mystérieux institut dans une ville obscure. Quant à savoir ce qu’elle y apprendra, là se trouve une part de l’enjeu. Passé le premier contact cryptique et inquiétant avec ce nouvel établissement, commencent les pourquoi, les comment, les sentiments mêlés d’injustice, de révolte et de curiosité, et surtout cette obsession de continuer, fiévreusement, pour voir où diable cette histoire nous mène. Un bien étrange roman. ...

07.02.2021

Lectures favorites de 2020

C’est l’heure des bouquins de l’année ! Je me suis imposé d’en choisir dix (en trichant juste un peu) et les ai classés arbitrairement pour le plaisir. 1. “Trop semblable à l’éclair”, par Ada Palmer (2016) et “Sept redditions”, par Ada Palmer (2017) : double prix de l’amour inconditionnel pour les deux premiers tomes de la saga Terra Ignota, d’une inventivité folle et qui m’ont transportés comme rarement en cette année où c’était plutôt nécessaire. 2. “Au bal des absents”, par Catherine Dufour (2020) : un roman que je qualifierais de fantastique social enragé. C’est génial. 3. “Mémoire de fille”, par Annie Ernaux (2016) : un exercice de mémoire frappant de justesse, rempli de réflexions sur le processus et le sens de l’écriture autobiographique. ...

28.12.2020

Au bal des absents - Catherine Dufour

Claude, la quarantaine solitaire et sans le sou, se prépare à être expulsée de son appartement lorsqu’un mystérieux contact Linkedin lui propose un job bien payé dans une maison isolée à la campagne. Sa mission : enquêter sur la disparition d’une famille d’Américains. Au pied du mur, Claude accepte : quels choix lui reste-t-il de toute façon ? S’ensuit une histoire mêlant horreur (je n’étais pas prévenu), fantastique et social. Tout le sel d’Au bal des absents tient dans le comportement inattendu de sa protagoniste, personnage qui n’a de toute façon plus grand chose à perdre et dont on suit le parcours avec joie et inquiétude. Catherine Dufour canarde la réalité à travers ce roman fantastique-social enragé superbement écrit, et c’est génial (même si parfois ça fait peur). ...

29.11.2020

Trop semblable à l’éclair - Ada Palmer

Si la littérature de l’imaginaire permet beaucoup en matière de nouveaux horizons, il se dit en ce moment qu’elle pourrait gagner à moins se focaliser sur l’annihilation du monde pour s’intéresser davantage à des avenirs meilleurs (ça nous changerait). C’est là que débarque l’historienne Ada Palmer avec sa série Terra Ignota, dont le premier tome Trop semblable à l’éclair est sorti l’an passé en français. Bienvenue dans un 2454 aux allures d’utopie. Un monde en paix, où les déplacements sont faciles et dans lequel les nations, vieilles reliques inutiles, ont été remplacées par des “Ruches” que les citoyens rejoignent à leur convenance (pour ne citer qu’une des idées brillantes de ce récit). Le narrateur de cette histoire, un fascinant personnage, nous raconte pourtant les derniers jours de ce système, qu’on imagine pourtant si solide. Je pourrais en parler des heures : Trop semblable à l’éclair est superbement raconté et d’une richesse folle (tant d’un point de vue de l’écriture que de l’univers), mêlant philosophie, politique et une certaine dose de mysticisme. Et surtout, surtout, il renouvelle le genre en s’éloignant des poncifs de notre époque, en convoquant d’autres périodes de l’histoire et en nous invitant à penser des futurs possibles. En cela, c’est ce que la science-fiction peut offrir de meilleur. ...

20.08.2020

Normal - Warren Ellis

Je ne sais pas vraiment si ce petit roman entre dans le domaine de la science-fiction, mais je peux au moins le qualifier sans hésiter de tordu. Normal se déroule dans une sorte d’hôpital réservé aux veilleurs stratégiques et autres prospectivistes. Ces derniers sont en effet hautement susceptibles de perdre les pédales, à force de tenter de prévoir l’avenir dans leur domaine de compétences. Pour les calmer et les préparer à retourner affronter le monde, on les envoie donc là. Nous y suivons un pensionnaire fraîchement accueilli, isolé de l’extérieur au même titre que ses nouveaux congénères (dans cet institut, une simple connexion internet est un bien précieux). Ensemble, nous découvrons un environnement forcément un peu spécial, dont l’étrangeté croît brusquement lorsqu’un patient disparaît, remplacé dans sa cellule par un gros tas d’insectes. Enlèvement ? Evasion ? Conspiration ? Mystère. C’est en tout cas la dose de folie qu’il me fallait lorsque je m’y suis plongé. ...

19.08.2020

Un livre par jour pendant cinq jours

Jour 1. Outrage et rébellion - Catherine Dufour (2009) - Dans cette histoire, Catherine Dufour nous raconte la naissance aussi jouissive que douloureuse d’un mouvement punk dans une Chine du XXIVème siècle. On n’y trouve pas une narratrice unique, mais toute une série de voix, avec leur vécu propre et leur sensibilité. A nous de faire sens au milieu de ce chaos. J’ai appris bien après l’avoir lu, et adoré (c’est encore aujourd’hui un de mes livres préférés), qu’il était grandement inspiré de Please Kill Me : l’histoire non censurée du punk racontée par ses acteurs, dont le titre dit à peu près tout. Jour 2 - La Fin de l’homme rouge - Svetlana Alexievitch (2013) - Il y a deux ans, j’ai pris ce pavé comme une claque dans la face. Svetlana Alexievitch y donne la parole aux témoins de la fin de l’Union soviétique : on y lit leur vécu, leurs pensées, leurs peurs, leur colère, leurs souvenirs, leurs espoirs. Des histoires parfois bien différentes les unes des autres et pourtant liées par un thème : comment fait-on pour gérer la fin brutale d’un monde dans lequel on a toujours vécu, un changement dont l’impact se ressent sur toutes les strates de la société ? Comment, au niveau individuel, se faire aux nouvelles règles du jeu ? Je ne suis vraiment pas prêt de l’oublier. ...

30.04.2020