La Sonate Hydrogène - Iain M. Banks

Le dernier tome de la Culture est sorti en 2012, soit vingt-cinq ans après ses débuts et un an avant le décès prématuré de son auteur Iain M. Banks. J’ai picoré le cycle, dont les onze livres (dix romans et un recueil de nouvelles) peuvent se lire indépendamment les uns des autres, sur un peu moins d’une décennie. Et puis voilà. J’ai pris mon temps, mais me voilà au bout de ce space-opera d’espionnage à tendance anarchiste. On y retrouve la galaxie à laquelle nous sommes habitués : grouillante d’espèces et de civilisations qui se côtoient avec plus ou moins de bonheur. Parmi elles, la Culture, une vaste société aussi pacifique que puissante. Il y a déjà bien longtemps que sa direction a été laissée aux Mentaux, les intelligences artificielles des gigantesques vaisseaux et autres habitats spatiaux qui abritent l’essentiel de sa population. ...

21.06.2025

U Like UFO - Mercening

U Like UFO est une première à plusieurs titres : première BD publiée de l’autrice française Mercening et première parution de la nouvelle collection Kopi - spécialisée dans le manga - des éditions Exemplaire. A l’annonce de son financement participatif je n’ai pas longtemps hésité tellement le projet semblait coller à mes petites déviances : le paranormal, les p’tits hommes verts et plus globalement le bizarre. La découverte du compte Instagram de l’autrice, l’enthousiasme de Boulet et les premières planches dévoilant son univers m’ont convaincu de participer. Le récit commence durement avec le suicide d’un adolescent membre du petit club de paranormal de son lycée. Sous le choc, son amie Alice, en dernière année de lycée, et Oswald, jeune professeur d’anglais, décident malgré tout de continuer le club. Quelques années plus tard, ils ont fondé une entreprise et forment un duo de détectives spécialisés dans les phénomènes paranormaux. Leur objectif : prouver une fois pour toutes l’existence du paranormal. Même si les déceptions s’accumulent, leur détermination semble à toute épreuve et cette obsession sincère dénuée de tout cynisme les rend forcément attachants, mais aussi un peu déconcertants. Comme on parle d’un professeur reconverti et de son ancienne élève, la nature de leur relation pourrait même créer un certain malaise. Ce dernier, heureusement, est rapidement désamorcé (d’une manière que je qualifierais d’à l’image des personnages : surprenante et plutôt rigolote). ...

31.05.2025

Les Hygialogues de Ty Petersen - Saul Pandelakis

Saul Pandelakis m’a mis une grande claque avec son premier roman La séquence Aardtman. J’ai donc accueilli l’arrivée du deuxième - Les Hygialogues de Ty Petersen - avec une certaine attente. L’ouvrage tel qu’édité par les Éditions Goater est en réalité composé d’un roman court (éponyme), d’une nouvelle (Suntown), d’un petit essai sur le concept de “guichet” dans la SF et d’une interview de l’auteur. Mais d’abord, un point Wikipédia, qui nous dit ceci à propos de l’hygiaphone : “L’Hygiaphone est un dispositif de séparation doté d’une surface transparente et d’un mécanisme permettant l’échange de biens entre personnes. […] Le système réside dans la mise en place d’une membrane vibrante amplifiant le son et apportant le confort de communication attendu par les agents tout en les protégeant contre la projection de microbes.” ...

16.05.2025

Derniers jours d'un monde oublié - Chris Vuklisevic

Le monde oublié dont il est ici question est une île. Isolée au milieu de l’océan depuis un cataclysme survenu il y a trois siècles, Sheltel abrite une population convaincue d’être seule au monde. A sa tête, quelques personnages-clés détiennent un pouvoir que personne ne conteste. Afin d’éviter la consanguinité, le registre des naissances, des morts et des mariages est fermement tenu par la Main, la sorcière qui donne et reprend la vie. Pour le bien commun, les magiciens qui ne peuvent être utiles au système sont enfermés et leurs pouvoirs contenus. Les choses pourraient rester ainsi pour des siècles et des siècles si ce n’était ce navire pirate au loin, manifestation inattendue d’un monde extérieur qu’on croyait disparu pour toujours. ...

27.04.2025

Le grand vide - Léa Murawiec

Manel Naher vit dans une ville étouffante. Si chacun y exhibe son nom pour ne pas être oublié, c’est parce que la mort sociale y coincide avec la mort biologique. Peu sociable, elle trouve refuge dans une bouquinerie et rêve de s’en aller avec un de ses rares amis. Quand une chanteuse homonyme explose avec son nouveau single, occupant l’esprit de tout un tas de gens qui auraient plutôt pu penser à elle, les conséquences sont concrètes et rapides : crise cardiaque. Le traitement prescrit est clair : il est temps d’exister, de renforcer sa “présence” à tout prix. Cette histoire bizarre imaginée par la française Léa Murawiec a déjà beaucoup pour me plaire telle quelle, mais alors ce dessin, ohlala. C’est vif, expressif et bourré d’idées. Le choix des couleurs est radical : pour l’essentiel noir (ou plutôt bleu) et blanc, complété d’un fort joli rouge pour les décors urbains. C’est peu dire que Léa Muraviec maîtrise son sujet et a digéré de multiples influences, de la BD franco-belge au manga, en passant par la BD indépendante et les courants les plus expérimentaux. L’autrice joue à sa guise avec l’agencement des pages, donne une consistance physique aux phylactères ou déforme les corps. Pour autant, cela ne nuit en rien à la lisibilité du récit, qui reste central. ...

19.04.2025

Notules (1)

C’est le titre de Moi, Jean Gabin qui a d’abord attiré mon attention. Cette autobiographie raconte l’enfance mouvementée de Goliarda Sapienza vers la fin des années 1930 dans un quartier populaire de Catane, en Sicile. Elle y mène une vie bien remplie, moins par l’école que par ses rêves de liberté et de justice incarnés par Jean Gabin (acteur ou personnages, peu importe) dont chaque sortie de film est un événement quasiment sacré. A treize ou quatorze ans, elle aborde son quotidien avec une intensité qui rend la lecture très attendrissante. Pour autant, on devine une toile de fond marquée par la violence (avez-vous entendu parler du fascisme ?) et un environnement familial très politisé (avez-vous entendu parler de l’antifascisme ?). Même si j’ai sans doute manqué tout un tas de références aux films de l’époque (dont je ne sais à peu près rien), j’ai beaucoup aimé cette lecture. Il faut dire que l’écriture, à tout le moins sa traduction, est superbe. ...

10.04.2025

Proletkult - Wu Ming

Ce qui frappe d’emblée, c’est que nous avons ici affaire à un titre un peu mystérieux. Commençons donc par un peu de contexte autour du terme “Proletkult” en citant un article paru en 2017 dans Campus, le magazine scientifique de l’Université de Genève (et dont le numéro complet est consultable ici) : […] en octobre 1917 [apparaît] une organisation artistique et littéraire méconnue et éphémère mais qui connaît un succès populaire fulgurant : la Culture prolétarienne, ou Proletkult, selon l’acronyme russe. À son apogée, en 1920, le mouvement (qu’il ne faut pas confondre avec l’« art prolétarien » de l’époque stalinienne) revendique 400 000 membres, c’est-à-dire autant, voire plus, que le Parti communiste lui-même. Répartis en 300 sections locales, il édite une quarantaine de journaux et de revues. Il disparaît la même année, dénigré par une partie de l’élite bolchevique et intégré de force au Commissariat du peuple aux lumières (Ministère de l’éducation). ...

23.03.2025

Les Champs de la Lune - Catherine Dufour

Avec Les Champs de la Lune, Catherine Dufour revient à la science-fiction par le biais de l’agriculture. Et oui. El Jarnine est fermière : sous le dôme de la ferme Lalande (à la surface de la Lune) elle cultive de quoi nourrir la population d’une ville construite sous la surface. Elle transmets ses desiderata aux autorités par des rapports réguliers et est fort contrariée car on lui reproche l’aridité de ces derniers. Qu’à cela ne tienne, si c’est ainsi elle les rédigera plus joliment. Peut-être cela les incitera-t-il à l’écouter ? Entre la fissure dans son dôme qui grandit lentement et la drôle de plante qui envahit le paysage lunaire, il y a bien des motifs d’inquiétude. Et c’est sans compter la fièvre aspic, une épidémie qui fauche les gens sans motif apparent. ...

16.03.2025

Aliène - Phoebe Hadjimarkos Clarke

Quand j’ai entendu parler de ce livre, le deuxième roman de Phoebe Hadjimarkos Clarke, ma curiosité a immédiatement été attisée. C’est l’histoire de Fauvel, une femme qui, la vie en vrac après avoir été éborgnée lors d’une manifestation, quitte temporairement la ville pour la campagne française. L’objectif : garder pendant quelques semaines la chienne du père d’une amie et profiter du calme environnant. Cette chienne, Hannah, est toutefois un peu spéciale : c’est une clone de Hannah (l’originale), dont le cadavre empaillé orne le salon. Si leurs physiques sont identiques, leurs caractères diffèrent. C’est en effet peu dire que Hannah (la clone) est très indépendante et volontiers menaçante. Comme si ça ne suffisait par pour troubler ce qui devait être une retraite paisible, les activités d’un troupeau de chasseurs dans les environs ne sont pas de nature à rassurer Fauvel. ...

07.03.2025

Top lectures de 2024

On dirait que 2024 a été l’année la plus prolifique en lectures de ma vie. Je ne m’explique pas vraiment pourquoi, par contre je peux revenir sur certaines qui sont particulièrement sorties du lot. L’extraordinaire OVNI 78, du collectif italien Wu Ming, surnage avec ses ufologues à l’affût d’observations paranormales, son exploration de la politique italienne des années 70 et sa plongée dans la contre-culture de l’époque. Et puis c’est pas tous les jours qu’un personnage de roman écoute du Magma. Ensuite, nous avons deux romans gothiques que je n’avais pas encore abordés par ici : Affinités, de Sarah Waters. Une jeune dame de la bonne société victorienne, en proie à une sorte de dépression, rend régulièrement visite à des femmes en prison pour écouter leurs déboires. Elle y tombe amoureuse d’une prisonnière qui se dit spirite et s’avère très convaincante. La narration est fine, l’ambiance gothico-londonienne est brumeuse à souhait et le jeu de pistes vraiment bien fichu. Pour rester dans le gothique, mais cette fois-ci sur un autre continent (l’autre là, un peu plus à l’ouest) : le classique de Shirley Jackson Nous avons toujours vécu au château, paru en 1962. Une famille décimée + un château isolé + des villageois haineux = une bonne ambiance. Deux autres romans cools et chelous : Les Monstres de Templeton, de Lauren Groff. Du fantastique (un peu) et de la généalogie (beaucoup). La Fracture, de Nina Allan. Une mystérieuse disparition et pas mal de bizarreries (dans le fond et dans la forme). Au rayon “imaginaire qui tache” : La Cité des Marches, de Robert Jackson Bennett. Le premier tome d’une trilogie fantasy. Il y est notamment question de colonialisme et du rapport des peuples à leur histoire. Ca se lit comme un bon roman d’espionnage, les dieux magiciens en plus. Station Eleven, d’Emily St. John Mandel. Une fin du monde vite fait bien fait, et comment s’en sortent les survivants (par exemple en jouant du Shakespeare). Dans la thématique “nazis” (car il faut bien vivre avec son temps) : La Compagnie des spectres, de Lydie Salvayre. Folie, précarité et résistance. C’est toujours un plaisir d’envoyer des tombereaux d’insultes au Maréchal et à ses collaborateurs. Nein, Nein, Nein!, de Jerry Stahl. L’auteur, écrivain juif américain, nous raconte son voyage organisé (en bus) à travers les camps de concentration et d’extermination nazis devenus des parcs d’attraction mémoriels. L’effarement est très présent et j’ai beaucoup ri (mais j’aime l’humour désespéré). Et deux BD : Happy Endings, de Lucie Bryon. Une formidable BD sortie cette année, d’une grande douceur. L’album est composé de trois histoires distinctes, dont le merveilleux Océan qui illustre la couverture. L’autrice continue sur sa lancée après un Voleuse qui était déjà super. La Distinction, de Typhaine Rivière. Une adaptation contemporaine du livre de Pierre Bourdieu, pilier de la sociologie, qui a le mérite d’être compréhensible et facile d’accès. Pour celles et ceux que la notion d’habitus intrigueraient et qui n’en ont pas eu assez avec la chaîne Youtube de Grégoire Simpson.

30.12.2024