Le chant du Drille - Ayerdhal

Il y a trois ans, au début du premier confinement, plusieurs éditeurs (dont notamment Au diable vauvert) ont eu la bonne idée de rendre disponible gratuitement toute une série de romans sur lesquels je me suis jeté. Celui-ci, Le chant du Drille, traînait tristement au fond de ma liseuse depuis lors, mais je me suis enfin décidé à lui prêter attention. Il s’agit d’un roman de science-fiction français au pitch assez classique, à base de colonisation de planète paradisiaque perturbée par un événement inattendu. Le scénario ne manque pourtant pas d’originalité. Sa principale attraction, ce sont ces fameux drilles : des petits humanoïdes placides, voire indifférents, remarquables par leur chant envoutant. Préalable indispensable à la colonisation de la planète, leur étude n’a pas révélé de signes d’intelligence. Pourtant, alors que les humains occupent les lieux depuis des décennies, les drilles s’installent soudain en masse dans les villages humains pour s’y laisser mourir lentement. Bon pour le moral ! C’est ainsi que Lodève, Inspectrice générale des Colonies, est envoyée sur place pour enquêter sur la situation et prendre les décisions qui s’imposent. Elle rencontre ainsi une série de personnages clés (intéressants et variés) afin de résoudre le mystère de ce comportement suicidaire. ...

20.07.2023

Evaristo Carriego - Jorge Luis Borges

Vu ses pages toutes brunies par les années, j’ai dû trouver ce petit livre il y a dix ou quinze ans dans une bouquinerie, pour ne jamais l’ouvrir jusqu’à cette année. De Borges, je connaissais déjà L’Aleph et Fictions, deux recueils de nouvelles étranges, tirant vers le fantastique, l’imaginaire ou l’expérimental, parus dans les années 1940. Une de celles qui m’a le plus marqué est probablement Pierre Ménard, auteur du Quichotte dans lequel l’auteur argentin esquisse une biographie pleine d’érudition d’un auteur français des années 1930 qui n’a jamais existé. Tout ça pour dire que cet Evaristo Carriego, dont ce livre est une espèce de courte biographie, j’ai d’abord vérifié qu’il avait vraiment vécu. Surprise : c’est bien le cas, c’était même un ami du père de Borges. Malgré tout, le doute subsiste. Difficile en effet de savoir si tout cela est vraiment fiable, si le poète décrit par l’auteur existe ailleurs que dans sa tête. Et en fait on s’en fiche, on se laisse porter. Borges est une sorte de magicien, qui parvient à m’intéresser à des sujets dont je me fiche au minimum poliment. La poésie sud-américaine, par exemple, qui à la base n’est pas mon truc : quand Borges en parle je suis fasciné. Quant à sa reconstruction des faubourgs de Buenos Aires à la fin du XIXème siècle, un point géo-historique qui ne me concerne pourtant que fort peu, je m’y suis senti à la maison, arpentant les rues, attentif à l’évocation des sonorités de guitare. ...

01.07.2023

On ne joue pas avec la mort - Emily St. John Mandel

A travers mes lectures de L’hôtel de verre (cinquième roman d’Emily St. John Mandel) et de Dernière nuit à Montréal (son premier), j’ai identifié trois éléments récurrents : 1) une matière : le verre ; 2) des relations familiales compliquées, marquées par la perte et l’abandon ; 3) une légère touche de fantastique. Il s’agit aussi de deux très bons polars qui m’ont passionné de par leur atmosphère froide et leur absence de linéarité. C’est rare, mais c’est ainsi que je me suis retrouvé à ouvrir un troisième livre de la même autrice en moins d’un an. On ne joue pas avec la mort est son deuxième roman. ...

18.06.2023

Mort aux geais ! - Claire Duvivier

Mort aux geais ! Voilà un étrange nom. Sorti en fin d’année dernière, ce roman est la suite du Citadins de demain et il appartient à la double trilogie de La Tour de Garde. Pour rappel, nous y lisons parallèlement deux histoires : celle de la Capitale du Nord écrite par Claire Duvivier, et celle de la Capitale du Sud, écrite par Guillaume Chamanadjian. Cap au nord donc, pour y retrouver la cité de Dehaven et notre protagoniste Amalia. Mais avant cela, quelques considérations géo-historiques sur le cycle. Dehaven, d’abord. Cité-état du nord, colonialiste, tirant profit de son empire maritime et dirigée par une aristocratie austère qui exploite ses classes populaires, elle n’est pas sans rappeler des entités de culture protestante telles que les Pays-Bas du XVIIème siècle ou encore l’Empire britannique. A cette toile de fond s’ajoutent de sérieux troubles politiques et sociaux : les colonies n’entendent plus se laisser faire et les classes populaires s’organisent dans les faubourgs, donnant à l’ensemble un parfum mêlé de guerre et de révolution. En ce qui concerne Gemina, c’est un peu plus flou pour moi. Située au sud, politiquement morcelée et réputée pour sa bonne bouffe, elle peut rappeler des régions catholiques, par exemple les diverses principautés italiennes d’avant l’unification du pays, mais je crois que certains éléments m’échappent. Tout ça pour dire que Claire Duvivier et Guillaume Chamanadjian semblent avoir puisé dans l’histoire européenne au sens large pour construire leur univers et leurs histoires, sans pour autant concevoir un simple décalque historique agrémenté de magie. ...

10.06.2023

La Séquence Aardtman - Saul Pandelakis

Allons droit au but : Saul Pandelakis semble avoir parfaitement saisi l’esprit du temps, pour l’envoyer vers un XXIIème siècle dans lequel l’humanité s’éteint doucement, tandis que les bots conscients prennent leur essor après avoir obtenu leur émancipation. Je ne sais pas si La Séquence Aardtman fera date, mais je serais prêt à en prendre le pari. Ceci posé, continuons. L’humanité, qui semble avoir renoncé à s’adapter à la Terre et s’irrite de la vitalité des bots, envoie des vaisseaux habités vers l’espace lointain dans un hypothétique espoir de terraformation. Roz, homme transgenre, se trouve à bord d’un de ces bâtiments, l’ari-me. Peu sociable, il y travaille comme informaticien, en charge notamment de la maintenance de l’intelligence artificielle. Asha, elle, est une bot et se trouve sur Terre. Spécialiste de la notion de “corps bot”, elle a été assignée homme lors de son incarnation. Elle côtoie le milieu universitaire et le milieu militant, des humains et des bots, et se débat constamment avec ses propres contradictions. Suite à un événement survenu à bord de l’ari-me, elle va être amenée à discuter avec Roz. ...

21.05.2023

Trois Lucioles - Guillaume Chamanadjian

Trois Lucioles, c’est un joli nom. Sorti il y a environ un an, ce roman est la suite du Sang de la Cité et fait partie de la double trilogie de La Tour de Garde. Pour rappel, nous y lisons parallèlement deux histoires, celle de la Capitale du Sud, écrite par Guillaume Chamanadjian, et celle de la Capitale du Nord écrite par Claire Duvivier. Le tout se déroule dans un univers de type fantasy tendance époque moderne. Cap au sud donc, pour y retrouver la cité de Gemina et notre protagoniste Nox, non pas exactement là où nous les avions laissés, mais plutôt quelques mois plus tard. S’agissant d’un tome charnière de la saga au même titre que Mort aux Geais ! de Claire Duvivier, je ne m’appesantirai pas sur son intrigue. Je peux par contre dire que ce roman est à l’image de la saga : ambitieux mais pas boursouflé, simple mais certainement pas simpliste. Il se lit comme une évidence et je n’ai que du bien à dire de son intrigue générale, de ses personnages et de son univers quasiment “graphique” qu’on n’a aucun mal à visualiser (un effet grandement aidé par les superbes couvertures). ...

01.05.2023

Annihilation - Jeff VanderMeer

Mes expériences avec la weird fiction n’ont pas toujours été de franches réussites. Pour m’attaquer à Jeff VanderMeer (qu’on pourrait qualifier de pape du genre), je me suis dit que commencer par ce petit roman d’un peu plus de 200 pages serait une bonne idée. Alors oui, je n’ai tenu qu’une demi-heure devant l’adaptation d’Annihilation par Netflix, mais c’est davantage la frousse qui m’a fait renoncer, plutôt qu’une quelconque opinion sur le film. Une bonne occasion de vérifier que je supporte mieux l’horreur dans un bouquin que devant un écran. Résumons donc : une zone étrange, comme coupée du monde, a fait irruption quelque part aux Etats-Unis. Depuis cette apparition, les autorités y envoient régulièrement des expéditions afin d’en apprendre plus sur ce qu’elle contient. C’est une biologiste, membre d’une équipe exclusivement composée de femmes, qui nous raconte cette histoire. Elle revient sur son expérience dans la zone, dès les premiers pas à l’intérieur, et nous révèle aussi une partie de son passé. ...

08.04.2023

La Justice de l'ancillaire - Ann Leckie

Dans ma quête apparente de lire l’entièreté des prix Hugo (du meilleur roman) de la décennie 2010, voici le millésime 2014 : La Justice de l’ancillaire, premier tome de la trilogie des Chroniques du Radch, par Ann Leckie. A part le fait qu’on y retrouve quelques poncifs du space opera, comme un vaste empire galactique et des consciences artificielles, une de ses principales particularités est l’impossibilité d’y connaître avec certitude le genre des personnages (tout simplement car, dans cet univers, cela n’a généralement pas d’importance). Et ça, c’est très intéressant. Pourtant, au cours de ma lecture, j’ai beaucoup pesté sur des choix grammaticaux flous (que je mets sur le compte de la traduction, sans pouvoir en être sûr à 100%), créant un inconfort qui semblait pourtant évitable. Ce n’est bien sûr pas l’incertitude de genre qui m’a gêné, plutôt la façon dont elle est retranscrite. Face à des problématiques semblables, les décisions grammaticales prises par exemple dans Terra Ignota d’Ada Palmer ou After® d’Auriane Velten m’ont paru plus évidents. Les choix opérés ici me laissent donc perplexes, toutefois je salue la tentative de retranscrire la confusion ressentie par le, ou la, protagoniste, lorsqu’il s’agit de manier les pronoms. Si le résultat ne paraît pas optimal, l’impression créée semble, bizarrement, presque voulue. ...

02.04.2023

La Porte des Enfers - Laurent Gaudé

Il y a longtemps que je lorgnais sur Laurent Gaudé, non pas en raison de ses prix littéraires, mais parce que c’est le frère d’Ivan, l’estimé cofondateur du magazine Canard PC. Lorsque la journaliste Julie Le Baron (nouvelle rédactrice en chef - bravo - du magazine en question) a dit le plus grand bien de La Porte des Enfers, je me suis dit que je commencerais par celui-là, intrigué que j’étais par son côté fantastique et surtout parce qu’il en fallait bien un. Cette histoire commence en 2002 à Naples par la vengeance de Pippo, mort - attention - en 1980 à six ans lors d’une fusillade. Il n’est pas vraiment nécessaire d’en révéler davantage, tout comme il est déconseillé de lire la quatrième de couverture (de l’édition poche Acte Sud en tout cas) qui vous révèlera les deux tiers du roman. L’histoire alterne donc entre 1980, où nous suivons les parents de Pippo en proie au deuil, et 2002, où un Pippo bien vivant en a gros sur la patate. Pourquoi ? Comment ? Plus que cette question bien légitime, il s’agit ici de ressentir la peine, la peur et le dégoût, mais aussi, dans un autre registre, les ruelles encombrées de Naples, l’odeur du café et l’inéluctabilité de la mort. A l’instar des personnages de ce livre, on y cherche des étincelles de vie dans un océan de crasse et de désespoir : l’enfer, ici, est à prendre au sens propre comme au sens figuré. Et comme souvent, on trouvera des lueurs dans les marges. Ce n’est pas un roman très rigolo, par contre il se lit rapidement. ...

05.03.2023

Dernière nuit à Montréal - Emily St. John Mandel

L’an passé, j’ai découvert la Canadienne Emily St. John Mandel via son dernier roman paru en français, L’hôtel de verre, que j’ai adoré. C’est donc moins de six mois plus tard que je me suis attaqué à son premier livre, Dernière nuit à Montréal. Là encore, il s’agit d’une sorte de polar. En fait, je n’ai pas pu m’empêcher de remarquer plusieurs similitudes entre les deux œuvres, à commencer par une certaine obsession pour le verre et la présence éventuelle du fantastique, qui pourrait tout aussi bien relever de la folie de l’un ou l’autre personnage. L’histoire, ici, se concentre sur Lilia, jeune femme qui a soudainement quitté l’appartement dans lequel elle vivait depuis peu avec Eli, son compagnon, qui se met ainsi en quête de la retrouver. De Lilia, nous en apprenons davantage au fur et à mesure de la lecture via des flash-backs, en commençant par son enlèvement lorsqu’elle avait sept ans. L’intrigue enchaîne donc entre le passé d’une Lilia perpétuellement en fuite à travers les Etats-Unis et le présent d’un Eli de plus en plus égaré, selon un rythme qui donne l’impression d’un étau se resserrant progressivement autour du dénouement. ...

11.02.2023