Au carrefour des étoiles - Clifford D. Simak

Les traductions, c’est tout un débat. Qu’est-ce qu’une bonne traduction ? Que perdons-nous exactement à lire un livre traduit plutôt que sa version originale ? En ce qui me concerne, aucune idée (ou si peu). En tout cas, Au carrefour des étoiles, classique de la science-fiction écrit par Clifford D. Simak en 1963, est justement ressorti cette année assorti d’une nouvelle traduction française, signée Pierre-Paul Durastanti. Gardant un très bon souvenir de Demain les chiens, autre classique de la SF du même auteur (également retraduit, par le même traducteur, en 2013), je me suis penché dessus. Il raconte l’histoire d’Enoch Wallace, un vieux monsieur largement centenaire et pourtant toujours fringuant, reclus dans une ferme au fin fond du Wisconsin. Ni l’homme, ni la ferme ne vieillissent, et pour cause : l’endroit sert de relais spatial pour une vaste civilisation galactique. Concrètement, grâce à une technologie fort complexe, des voyageurs extraterrestres y font régulièrement escale, avant de continuer leur chemin vers une destination lointaine. Depuis des décennies, Enoch Wallace s’acquitte de sa tâche de gardien avec application et s’est même fait quelques amis parmi ses hôtes de passage. Sa jeunesse prolongée suscite par contre des interrogations dans son village, ainsi qu’en plus haut lieu. ...

27.10.2021

Emissaires des Morts - Adam-Troy Castro

Quatre nouvelles et un roman, c’est en réalité ce que nous réserve ce gros livre de science-fiction et d’enquêtes écrit par Adam-Troy Castro, traduit en français en début d’année. Les nouvelles, qui s’étendent sur environ 300 pages, nous servent en fait d’introduction à l’univers et surtout à la protagoniste, Andrea Cort. Enquêtrice et diplomate à tendance misanthrope, elle est hantée par un passé traumatique et pâtit d’une réputation difficile à porter. Toutefois, elle a pour qualité d’être très compétente dans son domaine : résoudre des affaires délicates impliquant humains et espèces extraterrestres. Ces nouvelles, donc, servent en partie d’introduction, mais constituent surtout de vraies enquêtes efficaces qui ont un impact sur la suite des événements et déploient des idées très intéressantes. Démons invisibles, par exemple, avec son espèce extraterrestre singulière, m’a rappelé pourquoi j’aimais la science-fiction. ...

10.10.2021

À dos de crocodile - Greg Egan

Si certains romans laissent parfois planer le doute quant à leur genre, d’autres par contre sont sans ambiguïté. C’est généralement le cas des récits de Greg Egan, un auteur australien résolument tourné vers la hard-science-fiction, susceptible de réserver de grands moments d’émerveillement aux amateurs, en contrepartie de maux de tête sévères. Il y a un peu de tout ça dans sa dernière novella publiée dans la collection Une Heure-Lumière. La bonne nouvelle, c’est qu’À dos de crocodile réussit également à faire montre de sensibilité et de douceur. En moins d’une centaine de pages, nous y parcourons des dizaines de millénaires en compagnie d’un couple, Leila et Jasim. Ces derniers, déjà bien âgés (avec plus de 10000 ans de vie commune, c’est ce qu’on appelle un euphémisme) cherchent à établir un contact avec les Indifférents, de mystérieuses entités qui se tiennent poliment mais fermement isolées du reste des espèces composant la civilisation galactique. Il y a presque quelque chose du conte dans cette histoire de vieux couple porté par un vaste et dernier projet, mais qu’on ne s’y trompe pas : certains passages, heureusement plutôt courts (et peut-être assez dispensables), laisseront de côté les moins motivés. Bref, un voyage vertigineux dans le temps et l’espace, des concepts scientifiques abscons et un mystère céleste : une bonne novella de Greg Egan pour qui sait à quoi s’attendre. ...

02.10.2021

La Survie de Molly Southbourne - Tade Thompson

Une fois n’est pas coutume, et pour rester dans la série Une Heure-Lumière, il est ici question d’une suite : La Survie de Molly Southbourne, de Tade Thompson (auteur britannique d’origine nigériane, psychologue et également auteur de la série de romans Rosewater, que l’on peut rattacher à l’afrofuturisme). Mais tout d’abord, retour rapide sur le premier opus, Les Meurtres de Molly Southbourne, très original et plutôt dérangeant, qui avait fait parler de lui lors de sa publication française en 2019. Nous y suivons Molly, dont la vie tourne bien malgré elle autour d’un problème de taille. En effet, lorsqu’elle saigne, des doubles d’elle-même surgissent du néant pour la tuer, ce qui lui complique un peu le quotidien. Dans cette suite, publiée l’année suivante dans la même collection, l’auteur choisit un angle d’approche un peu différent et nous permet d’explorer plus profondément les mécanismes de cet univers. A vrai dire, j’ai été surpris de constater que la série est souvent classée dans le genre de l’horreur, même si c’est difficilement contestable. Etonnamment, les scènes horrifiques et/ou gores ne m’ont pas plus repoussées que cela, alors que j’y suis pourtant particulièrement sensible (et que je les évite généralement). Non qu’elles soient insipides, elles sont peut-être simplement bien écrite et suffisamment claires pour être percutantes, sans être trop graphiques (à mon goût). Pour une analyse approfondie, je conseille d’ailleurs vivement la lecture de ce billet de blog. Toujours est-il que ce récit d’une grosse centaine de pages fonctionne très bien et conserve tout l’intérêt du premier tome, qu’il est tout de même conseillé d’avoir lu au préalable. ...

29.09.2021

Ormeshadow - Priya Sharma

Dans la série des novellas Une Heure-Lumière, place à Ormeshadow, de la romancière britannique Priya Sharma. Nous sommes en Angleterre au XIXème siècle et ni joie, ni insouciance, ni légèreté ne figurent au programme de ce drame familial. Il s’agit en effet de la triste histoire de John et Clare Belman qui, accompagnés de leur fils unique Gideon, sont contraints de quitter leur ville pour une ferme occupée par le frère de John, Thomas, et sa famille. Ce dernier, personnage tyrannique, viriliste et cruel, leur réserve un accueil chaleureux (c’est faux). Au milieu de tensions déchirantes, Gideon profite de quelques moments avec son père, intellectuel et rêveur, pour découvrir une vieille légende familiale : une dragonne dormirait depuis des siècles sous les terres de la ferme. Avec ce contexte anxiogène, la présence fantomatique d’un potentiel univers fantastique et un enfant pris dans la tourmente, difficile de ne pas déceler quelques points communs avec Le fini des mers, évoqué ici. La comparaison s’arrête là, Ormeshadow étant beaucoup plus récente (2019) et la narration bien différente. Concrètement, c’est une histoire qui nous tient en haleine de bout en bout, sans négliger le travail sur l’ambiance (qui n’est donc : pas fun). Au passage, notons qu’avec ses 170 pages, ce récit est plutôt long au regard des standards de la collection. Toujours est-il que le simple souvenir de l’oncle Thomas me donne des maux de ventre rien que d’y penser et que, si cette histoire est particulièrement dramatique, elle est surtout très réussie. ...

26.09.2021

Le fini des mers - Gardner Dozois

Ma bibliothèque habituelle a le bon goût de proposer quelques novellas de la collection Une Heure-Lumière, spécialisée en science-fiction, fantasy et fantastique. J’en ai donc pioché quelques-unes, à commencer par Le fini des mers, un récit de Gardner Dozois initialement publié en 1973 et traduit vers le français en 2018. Sa couverture énigmatique n’est pas sans rappeler un certain film de Denis Villeneuve sorti en 2016 (Arrival, ou Premier Contact en français). Mais non, on oublie : ce film est adapté d’une nouvelle, par ailleurs géniale, de Ted Chiang parue en 1998 (L’histoire de ta vie, qu’on retrouve en français dans le recueil La Tour de Babylone : lisez-le), soit 25 ans après Le fini des mers. Seule la situation initiale les associe vraiment : d’immenses vaisseaux ovoïdes surgissant un beau matin et se contentant d’attendre. Ici, deux récits s’entrecroisent : la grande, à savoir la réaction du monde face à cette possible menace, et la petite, celle d’un enfant en grande difficulté scolaire, plus à l’aise avec les “Autres”, des êtres invisibles exceptés pour lui, qu’avec les adultes. Il est donc question de santé mentale, d’isolement et de difficultés de communication. Je sais : dit comme ça, ça ressemble quand même beaucoup à Arrival. En fait, malgré le concept et le propos alléchants, je dois malheureusement avouer être passé complètement passé à côté du propos. Frustré, j’ai creusé ailleurs pour y voir plus clair, et suis notamment tombé sur cette analyse enthousiaste. Il n’empêche, ennuyé par la narration et gêné par certains passages qui accusent leur âge, je suis passé sans regret à ma lecture suivante. ...

23.09.2021

L'Arithmétique terrible de la misère - Catherine Dufour

L’année passée, Catherine Dufour a sorti l’incroyable Au bal des absents, mais pas seulement. En effet, l’autrice française a également fait paraître L’Arithmétique terrible de la misère, son second recueil de nouvelles. Celui-ci en contient dix-sept, aux sujets variés, mais toutes réunies par une tonalité énervée et politique. La nouvelle presque éponyme (L’arithmétique de la misère), par exemple, anticipe les futures crises climatiques en nous offrant, malgré, tout un motif d’espoir dans la révolte. Quant à En noir et blanc, et en silence, elle reprend le vieux thème de la vie éternelle pour parler de dominations (masculine, de classe…). Dans l’ensemble du recueil, la technologie est bien présente, souvent importante, mais elle finit généralement par s’effacer derrière les personnages ou le contexte socio-politique. L’avenir décrit y est sombre, mais pas toujours désespéré. A chaque fois, le propos est acéré. ...

13.09.2021

Lectures de juillet-août

Au cours de ces deux derniers mois, j’ai lu quelques bouquins et je suis même retourné en bibliothèque, où je n’avais pas mis les pieds depuis trop longtemps. L’occasion de remarquer que les rayons, notamment en matière d’imaginaire, ont été bien renouvelés. En plus de quatre précédents billets déjà rédigés ici, voici un petit bilan de mes lectures de cet été brumeux. J’avais bien vu passer Les Tambours du dieu noir, sorti cette année en français, chez divers chroniqueurs et chroniqueuses de l’imaginaire, mais je n’avais pas vraiment idée de son contenu. On y trouve en réalité deux courts récits. Le premier, qui donne son nom au livre, se déroule à La Nouvelle-Orléans dans un XIXème siècle alternatif et un tantinet magique. L’enjeu n’y est autre que la survie de ce territoire libre et indépendant, régulièrement assailli de tempêtes démentielles, tandis que l’esclavage est toujours une réalité sur une partie de ce qui fut les Etats-Unis. Le second récit (L’étrange affaire du djinn du Caire), lui, se déroule au Caire au début du XXème siècle : là encore, uchronie et fantastique vont de pair, et nous quittons l’aventure pour un récit plus policier. Les qualités du livre sont réelles (qu’il s’agisse des points de vue proposés, du propos ou des univers déployés), mais je dois bien avouer avoir eu la tête ailleurs pendant la majorité de la lecture. Dommage pour moi. ...

02.09.2021

L'enfant de poussière - Patrick Dewdney

Sept tomes : c’est le nombre de livres que devrait compter le Cycle de Syffe, qui semble être le nouveau porte-étendard de la fantasy française. Dans ce premier opus, L’enfant de poussière, Patrick Dewdney, auteur français d’origine britannique, dépeint un univers médiéval dont la magie est (presque ?) absente. Nous y rencontrons Syffe, alors enfant de huit ans, orphelin, étranger et élevé par une veuve austère. On en conviendra, ce ne sont pas là les meilleures cartes pour débuter dans la vie, a fortiori lorsque la mort du Roi signe le grand retour de l’instabilité sur le territoire. C’est donc à travers un contexte politique changeant et complexe que Syffe doit survivre et se frayer un chemin. Pas de narrateur omniscient ici, ni même de grande quête épique. Nous percevons cette histoire à travers les yeux d’un enfant confronté à une avalanche d’emmerdements, qui a autre chose à faire que d’étudier son environnement dans les détails. Cela nous est donc distillé de façon parcellaire, et ça fonctionne très bien. Syffe, toute poussière qu’il est, rencontrera heureusement quelques figures amicales : on prend d’ailleurs grand plaisir à constater que certains personnages, de prime abord plutôt classiques, réussissent finalement à surprendre. Pour ne rien gâcher, ce livre de plus de 600 pages est écrit dans une fort jolie langue française. Tout cela pour dire que ce premier tome très réussi promet un cycle de fantasy original, ambitieux et sans pitié. ...

27.08.2021

Le Moineau de Dieu - Mary Doria Russell

Certains romans, même en version numérique, semblent avoir des pages jaunies par le temps. Le Moineau de Dieu, de l’Américaine Mary Doria Russell, n’est pourtant pas si vieux. Sorti en 1996, sept ans après Hypérion (on y reviendra), il a par la même occasion reçu quelques prix littéraires liés à l’imaginaire (notamment le Prix Arthur C. Clarke en 1998). Dès le titre, nous sommes prévenus : il est ici beaucoup question de religion (catholique essentiellement) - allergiques s’abstenir. Et pour cause : après avoir capté, depuis le radiotélescope d’Arecibo, ce qui ressemble fort à des chants extraterrestres, la Compagnie de Jésus décide de mettre en place une expédition spatiale afin d’aller les rencontrer. Là où ça se corse, c’est que nous suivons en parallèle l’épilogue de l’aventure, à savoir la réadaptation du prêtre Emilio Sandoz, seul survivant, revenu bizarrement mutilé et psychologiquement ébranlé. Un sort funeste qui contraste avec l’optimisme, voire la naïveté, qui entoure l’organisation du projet. ...

17.08.2021