Ormeshadow - Priya Sharma

Dans la série des novellas Une Heure-Lumière, place à Ormeshadow, de la romancière britannique Priya Sharma. Nous sommes en Angleterre au XIXème siècle et ni joie, ni insouciance, ni légèreté ne figurent au programme de ce drame familial. Il s’agit en effet de la triste histoire de John et Clare Belman qui, accompagnés de leur fils unique Gideon, sont contraints de quitter leur ville pour une ferme occupée par le frère de John, Thomas, et sa famille. Ce dernier, personnage tyrannique, viriliste et cruel, leur réserve un accueil chaleureux (c’est faux). Au milieu de tensions déchirantes, Gideon profite de quelques moments avec son père, intellectuel et rêveur, pour découvrir une vieille légende familiale : une dragonne dormirait depuis des siècles sous les terres de la ferme. Avec ce contexte anxiogène, la présence fantomatique d’un potentiel univers fantastique et un enfant pris dans la tourmente, difficile de ne pas déceler quelques points communs avec Le fini des mers, évoqué ici. La comparaison s’arrête là, Ormeshadow étant beaucoup plus récente (2019) et la narration bien différente. Concrètement, c’est une histoire qui nous tient en haleine de bout en bout, sans négliger le travail sur l’ambiance (qui n’est donc : pas fun). Au passage, notons qu’avec ses 170 pages, ce récit est plutôt long au regard des standards de la collection. Toujours est-il que le simple souvenir de l’oncle Thomas me donne des maux de ventre rien que d’y penser et que, si cette histoire est particulièrement dramatique, elle est surtout très réussie. ...

26.09.2021

Le fini des mers - Gardner Dozois

Ma bibliothèque habituelle a le bon goût de proposer quelques novellas de la collection Une Heure-Lumière, spécialisée en science-fiction, fantasy et fantastique. J’en ai donc pioché quelques-unes, à commencer par Le fini des mers, un récit de Gardner Dozois initialement publié en 1973 et traduit vers le français en 2018. Sa couverture énigmatique n’est pas sans rappeler un certain film de Denis Villeneuve sorti en 2016 (Arrival, ou Premier Contact en français). Mais non, on oublie : ce film est adapté d’une nouvelle, par ailleurs géniale, de Ted Chiang parue en 1998 (L’histoire de ta vie, qu’on retrouve en français dans le recueil La Tour de Babylone : lisez-le), soit 25 ans après Le fini des mers. Seule la situation initiale les associe vraiment : d’immenses vaisseaux ovoïdes surgissant un beau matin et se contentant d’attendre. Ici, deux récits s’entrecroisent : la grande, à savoir la réaction du monde face à cette possible menace, et la petite, celle d’un enfant en grande difficulté scolaire, plus à l’aise avec les “Autres”, des êtres invisibles exceptés pour lui, qu’avec les adultes. Il est donc question de santé mentale, d’isolement et de difficultés de communication. Je sais : dit comme ça, ça ressemble quand même beaucoup à Arrival. En fait, malgré le concept et le propos alléchants, je dois malheureusement avouer être passé complètement passé à côté du propos. Frustré, j’ai creusé ailleurs pour y voir plus clair, et suis notamment tombé sur cette analyse enthousiaste. Il n’empêche, ennuyé par la narration et gêné par certains passages qui accusent leur âge, je suis passé sans regret à ma lecture suivante. ...

23.09.2021

L'Arithmétique terrible de la misère - Catherine Dufour

L’année passée, Catherine Dufour a sorti l’incroyable Au bal des absents, mais pas seulement. En effet, l’autrice française a également fait paraître L’Arithmétique terrible de la misère, son second recueil de nouvelles. Celui-ci en contient dix-sept, aux sujets variés, mais toutes réunies par une tonalité énervée et politique. La nouvelle presque éponyme (L’arithmétique de la misère), par exemple, anticipe les futures crises climatiques en nous offrant, malgré, tout un motif d’espoir dans la révolte. Quant à En noir et blanc, et en silence, elle reprend le vieux thème de la vie éternelle pour parler de dominations (masculine, de classe…). Dans l’ensemble du recueil, la technologie est bien présente, souvent importante, mais elle finit généralement par s’effacer derrière les personnages ou le contexte socio-politique. L’avenir décrit y est sombre, mais pas toujours désespéré. A chaque fois, le propos est acéré. ...

13.09.2021

Lectures de juillet-août

Au cours de ces deux derniers mois, j’ai lu quelques bouquins et je suis même retourné en bibliothèque, où je n’avais pas mis les pieds depuis trop longtemps. L’occasion de remarquer que les rayons, notamment en matière d’imaginaire, ont été bien renouvelés. En plus de quatre précédents billets déjà rédigés ici, voici un petit bilan de mes lectures de cet été brumeux. J’avais bien vu passer Les Tambours du dieu noir, sorti cette année en français, chez divers chroniqueurs et chroniqueuses de l’imaginaire, mais je n’avais pas vraiment idée de son contenu. On y trouve en réalité deux courts récits. Le premier, qui donne son nom au livre, se déroule à La Nouvelle-Orléans dans un XIXème siècle alternatif et un tantinet magique. L’enjeu n’y est autre que la survie de ce territoire libre et indépendant, régulièrement assailli de tempêtes démentielles, tandis que l’esclavage est toujours une réalité sur une partie de ce qui fut les Etats-Unis. Le second récit (L’étrange affaire du djinn du Caire), lui, se déroule au Caire au début du XXème siècle : là encore, uchronie et fantastique vont de pair, et nous quittons l’aventure pour un récit plus policier. Les qualités du livre sont réelles (qu’il s’agisse des points de vue proposés, du propos ou des univers déployés), mais je dois bien avouer avoir eu la tête ailleurs pendant la majorité de la lecture. Dommage pour moi. ...

02.09.2021

L'enfant de poussière - Patrick Dewdney

Sept tomes : c’est le nombre de livres que devrait compter le Cycle de Syffe, qui semble être le nouveau porte-étendard de la fantasy française. Dans ce premier opus, L’enfant de poussière, Patrick Dewdney, auteur français d’origine britannique, dépeint un univers médiéval dont la magie est (presque ?) absente. Nous y rencontrons Syffe, alors enfant de huit ans, orphelin, étranger et élevé par une veuve austère. On en conviendra, ce ne sont pas là les meilleures cartes pour débuter dans la vie, a fortiori lorsque la mort du Roi signe le grand retour de l’instabilité sur le territoire. C’est donc à travers un contexte politique changeant et complexe que Syffe doit survivre et se frayer un chemin. Pas de narrateur omniscient ici, ni même de grande quête épique. Nous percevons cette histoire à travers les yeux d’un enfant confronté à une avalanche d’emmerdements, qui a autre chose à faire que d’étudier son environnement dans les détails. Cela nous est donc distillé de façon parcellaire, et ça fonctionne très bien. Syffe, toute poussière qu’il est, rencontrera heureusement quelques figures amicales : on prend d’ailleurs grand plaisir à constater que certains personnages, de prime abord plutôt classiques, réussissent finalement à surprendre. Pour ne rien gâcher, ce livre de plus de 600 pages est écrit dans une fort jolie langue française. Tout cela pour dire que ce premier tome très réussi promet un cycle de fantasy original, ambitieux et sans pitié. ...

27.08.2021

Le Moineau de Dieu - Mary Doria Russell

Certains romans, même en version numérique, semblent avoir des pages jaunies par le temps. Le Moineau de Dieu, de l’Américaine Mary Doria Russell, n’est pourtant pas si vieux. Sorti en 1996, sept ans après Hypérion (on y reviendra), il a par la même occasion reçu quelques prix littéraires liés à l’imaginaire (notamment le Prix Arthur C. Clarke en 1998). Dès le titre, nous sommes prévenus : il est ici beaucoup question de religion (catholique essentiellement) - allergiques s’abstenir. Et pour cause : après avoir capté, depuis le radiotélescope d’Arecibo, ce qui ressemble fort à des chants extraterrestres, la Compagnie de Jésus décide de mettre en place une expédition spatiale afin d’aller les rencontrer. Là où ça se corse, c’est que nous suivons en parallèle l’épilogue de l’aventure, à savoir la réadaptation du prêtre Emilio Sandoz, seul survivant, revenu bizarrement mutilé et psychologiquement ébranlé. Un sort funeste qui contraste avec l’optimisme, voire la naïveté, qui entoure l’organisation du projet. ...

17.08.2021

Redshirts - John Scalzi

Prix Hugo en 2013, pratiquement donné lors d’une énième solde numérique du début de l’été, Redshirts : au mépris du danger ne faisait pas vraiment partie de mes priorités. Derrière un nom aussi grotesque se cache en fait un roman parodique écrit par John Scalzi (que vous avez peut-être déjà rencontré sur Netflix via les épisodes Les Trois Robots ou La revanche du yaourt de la série Love, Death and Robots). Le récit débute comme un épisode de Star Trek : alors que de nouveaux personnages intègrent le vaisseau amiral de la flotte, ils réalisent rapidement que quelque chose cloche. En effet, comment se fait-il que le taux de mortalité y soit si élevé, en particulier lors des missions impliquant le capitaine et l’officier scientifique ? Pourquoi l’équipage semble-t-il éviter ces derniers comme la peste ? Et pourquoi s’en sortent-ils systématiquement, au contraire de leurs malheureux compagnons anonymes ? Sentant leur vie en danger, nos protagonistes (mais le sont-ils vraiment ?) vont essayer d’y comprendre quelque chose. Si j’ai d’abord craint une overdose de meta et de complaisance vis-à-vis du genre, j’ai finalement été très agréablement surpris. En fait, John Scalzi m’a amené là où je ne m’attendais pas, et plus qu’une blague, a écrit une véritable histoire. Meta certes, parodique bien sûr, mais qui ne s’y réduit pas. On peut évidemment se demander si cela méritait vraiment le prix ultime en matière de science-fiction, mais cela risquerait de nous emmener trop loin. ...

06.08.2021

Un long voyage - Claire Duvivier

Derrière cette jolie couverture se cache le premier roman, apparenté à la fantasy, de la française Claire Duvivier. Un long voyage comporte en fait plusieurs périples. Celui de Liesse, d’abord, le narrateur de cette histoire, enfant insulaire d’origine modeste (c’est un euphémisme), qui devient petit à petit un important dignitaire de l’Empire. Mais c’est aussi, surtout, celui de Malvine Zélina de Félarasie, énergique ambassadrice impériale, à laquelle il lie son destin et qui va connaître un parcours singulier. Ce roman, avec ses 314 pages somme toute rassurantes, parvient merveilleusement à être clair, concis et complet à la fois. L’autrice installe son univers posément, sans précipitation. Elle en dit suffisamment pour que nous visualisions les lieux, comprenions les enjeux, et nous épargne les détails superflus d’une histoire aux événements parfois bien étranges. Et pourtant, la sensation d’avoir voyagé longtemps et d’avoir vu du pays est bien présente lorsque cette histoire se termine. En tournant la dernière page, je me suis dit que c’était quand même vachement bien. ...

31.07.2021

Numérique - Marina & Sergueï Diatchenko

Numérique - Brevis est, par Marina et Sergueï Diatchenko, est le second tome du cycle des Métamorphoses, dont le premier opus n’est autre que le fameux Vita Nostra, qui m’a tellement plu en ce début d’année. Il ne s’agit pas d’une suite : il n’est plus ici question d’institut étrange ni de professeurs sadiques. Pourtant, on retrouve des ingrédients qui nous sont familiers. Arsène, le protagoniste, un adolescent dont la vie tourne principalement autour des jeux-vidéo, voit son quotidien changé lorsqu’il rencontre un inconnu : Maxime. Ce dernier lui propose de participer à un concours consistant essentiellement à tester des jeux nouveaux : s’il l’emporte, il pourra travailler pour lui. Cette fois-ci, on ne force personne, Arsène n’a à perdre que ses rêves de gloire. Toutefois, si ce dernier est un champion de la manipulation en ligne, Maxime n’est évidemment pas en reste. ...

19.06.2021

Bilan de mai

En ce mois de mai, synonyme de retour timide à une forme de vie sociale entre deux averses de grêle, j’ai enfin terminé la trilogie des Livres de la Terre fracturée (pour en dire beaucoup de bien ici). En prime, la lecture m’a emmené voyager loin dans l’espace, ainsi qu’au Japon. Difficile de dire lequel était le plus dépaysant des deux. Commençons par L’incivilité des fantômes, le premier roman de Rivers Solomon. Paru en français en 2019, on y embarque dans un vaste vaisseau spatial dans lequel vit une partie de l’humanité (ou ce qu’il en reste). La société qu’on y découvre est profondément raciste : les Noirs, réduits en esclavage, y travaillent aux tâches les plus difficiles et avilissantes tout en subissant la violence quotidienne des Blancs. Aster, très compétente en botanique et en médecine, cherche par ailleurs à y décrypter les écrits de sa mère défunte. Elle peut notamment compter sur son imprévisible amie Giselle, ainsi que sur un personnage à la fois critique et proche du pouvoir, Théo. Tant ses difficultés de communication (le mot autisme n’est jamais écrit, mais on le devine) que des traumatismes passés - et présents - pèsent sur Aster, mais ne l’empêchent pas d’oeuvrer à sa façon contre un pouvoir de plus en plus en oppresseur. Ce roman est peut-être plus intéressant pour le développement de ses personnages et leurs relations complexes que pour son intrigue, mais n’en reste pas moins très réussi. ...

04.06.2021